It follows : horreur géographique

David Robert Mitchell, 2014 (États-Unis)

HORREUR GÉOGRAPHIQUE

It follows, sorti en 2015 sur les écrans français, a fait sensation auprès des amateurs de films d’épouvante ou d’horreur. Le scénariste et réalisateur David Robert Mitchell nous parle d’une certaine actualité puisqu’en choisissant Détroit comme décor (lui vient de Clawson dans la banlieue nord de la ville), il fait de Motor City le catalyseur de toutes les contaminations possibles d’une réalité socio-économique. Par les différentes allées et venues effectuées des quartiers bourgeois et préservés de la crise (au moins en apparence) vers ces enfilades de pavillons fantômes, il n’est pas difficile de penser à la contamination par la misère dans un premier temps et à celle opérée ensuite (grâce à l’emprise nouvelle d’un ou deux milliardaires) par la reprise économique. La lente mais sûre ruine immobilière a traduit morphologiquement toute la décrépitude économique d’une métropole en crise depuis des décennies et qui a finalement été déclarée en faillite en 2013. Les maisons abandonnées aux façades inquiétantes, parfois même éventrées depuis le temps, ont-elles appartenu à ces spectres terrifiants qui dans le film cheminent solitaires et lents vers leurs victimes ? Qui sont ces ombres tant redoutées par Jay (Maika Monroe) et ses amis ? Des chômeurs, des endettées, des nécessiteux délaissés ? Ces quartiers que certains citoyens aujourd’hui ne veulent plus voir et qu’ils démontent maison après maison, planche par planche sont à la marge. Une des filles dans It follows évoque même l’idée d’une frontière établie entre les quartiers bourgeois et les banlieues pauvres, entre le centre-ville et la périphérie, le centre commercial indiquant la limite que ses parents, petite, lui interdisait de franchir (« Je me disais que c’était vraiment dégueulasse et tordu »).

Détroit la moribonde, Détroit la lazaréenne

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Mondes arctiques, fond de carte muet en projection polaire

Les mondes arctiques sont au centre de plusieurs enjeux. Cette notion d’enjeu est difficile à comprendre pour les élèves, alors qu’elle est mobilisée de façon permanente par les discours scientifiques, dans les manuels, et les documents. Il s’agit tout simplement d’analyser ce qui est « en jeu » : ce qu’il y a à gagner et ce qu’il y a à perdre. Analyser les enjeux c’est analyser les perdants et les gagnants (les peuples premiers ? Les entreprises pétrolières et de transport ?) et ce qu’il y a à gagner ou à perdre collectivement pour l’humanité, c’est-à-dire les défis à relever, économiques, sociaux, et environnementaux. L’Arctique est une bonne clé pour comprendre le principe du développement durable (penser global, agir local) et pour montrer que les impacts du réchauffement climatique ne sont pas négatifs pour tout le monde. Ce chapitre offre un bon entraînement au croquis de synthèse du baccalauréat parce qu’il est le seul du programme à ne pas porter sur l’échelle mondiale, difficile à mettre en cartes. Avec l’Arctique au contraire, la relative unité de lieu facilite les typologies, et cela permet également de se familiariser avec une projection polaire. Pour croquis de synthèse classe de 2nde

Document libre de droit pour tout usage pédagogique non commercial. Toute reproduction sur internet doit s’accompagner d’une citation de la source avec lien vers la Géothèque.

Un an de plus en Syrie… une cartographie actualisée des réfugiés syriens

La date du 15 mars a été une nouvelle fois le point d’orgue médiatique de l’attention internationale autour du conflit syrien. C’est en effet en mars 2011 que s’enclenche une mécanique de contestation pacifique dans les rues de Deera, dont on connait aujourd’hui les rouages destructeurs, et la tragédie sans fin à laquelle sont exposés les syriens. Après 4 années de guerre civile dans l’antique pays de Cham, nous sommes malheureusement tentés, comme beaucoup d’autres, d’entretenir cette mécanique cyclique d’une empathie pour le sort des réfugiés syriens, en opérant une actualisation de nos publications antérieures. Nous proposons donc ici une mise à jour de la carte régionale du déplacement des réfugiés déjà actualisée en 2014, et publiée à l’origine dans l’article consacré au camp de Zaatari, qui racontait la naissance de ma « curiosité » géographique pour les enjeux humains de ce conflit mondial.

Carte des réfugiés syriens 2015-01-01

Une crise régionale

En l’absence d’une solution politique en vue pour le conflit, ce sont aujourd’hui plus de 3,9 millions de réfugiés syriens – qui se trouvent en Turquie, au Liban, en Jordanie, en Irak et en Égypte – qui ne voient aucune perspective de retour dans leur pays d’origine dans un proche avenir. Face à cet afflux, le quotidien de leur nouvelle vie en exil se dégrade – plus de la moitié des réfugiés syriens au Liban vivent dans des lieux d’habitation précaires, contre un tiers l’année dernière – ce qui pose un problème constant pour assurer leur sécurité et leur bien-être, selon une mise en garde lancée ce 12 mars par le HCR : « C’est la pire crise humanitaire de notre époque et elle devrait générer un soutien à l’échelle mondiale. Au lieu de cela, l’aide décroit, et il n’y a pas assez de soutien au développement pour les pays hôtes qui sont mis à rude épreuve sous la charge représentée par tant de réfugiés », a développé António Guterres, Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés.  Lire la suite

Etonnantes superficies

Il est difficile de trouver un titre accrocheur pour une image portant sur la superficie de quelques circonscriptions administratives. Et pourtant, ces faits peuvent surprendre. On sait souvent qu’Arles est la plus grande commune de France métropolitaine, parce qu’elle comprend une grande partie de la Camargue, mais on oublie parfois que c’est Maripasoula qui détient le record absolu du territoire français. Cette commune de Guyane comprend une grande partie du principal massif forestier français : la Forêt amazonienne. Ses 7500 habitants lui donnent une densité exceptionnellement faible de 0,41 habitants par kilomètre carré. Si Arles est plus grand qu’un petit département comme le Territoire de Belfort, Maripasoula est plus grande qu’une région française comme la Corse ou le Limousin. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles cette dernière est vouée à la disparition, ou plutôt à la fusion, dans le courant de l’année 2015. Cette comparaison a aussi une vocation pédagogique : elle permet de se représenter plus facilement les superficies. On sait que les héros des romans de Zola ou Maupassant traversent Paris à pied ; les touristes d’aujourd’hui savent qu’il faut de bonnes chaussures : 10 kilomètres séparent la Porte Maillot et la Porte de Vincennes. Pour sillonner Arles, il est préférable de chevaucher l’un de ces chevaux blancs qui font la renommée du pays. C’est d’ailleurs le cheval qui a servi d’étalon (pardon) pour déterminer la taille des départements français. Ils ont été pensés, selon la vulgate, pour permettre aux citoyens d’accéder au chef-lieu depuis n’importe quelle localité en une journée de cheval. Cette règle a été peu ou prou respectée malgré quelques exceptions, et cela place aujourd’hui la préfecture à un peu plus d’une heure d’automobile des points les plus éloignés du département. Pour circuler à Maripasoula en revanche, la voiture ne sera que peu d’utilité puisqu’il n’y a pas d’autre voie terrestre pour s’y rendre que la piste qui la relie à sa voisine. La pirogue en revanche peut s’avérer utile pour circuler sur la Lawa, un affluent du Maroni, et même se rendre sur l’autre rive, au Surinam. Finalement, on peut rêver d’aventures, de frontières lointaines et de forêts luxuriantes, à partir d’une comparaison des superficies de quelques circonscriptions administratives.

Comparaison des superficies de plusieurs circonscriptions administratives : Maripasoula, le Limousin, l'Aube, Arles et Paris.

Comparaison des superficies de plusieurs circonscriptions administratives : Maripasoula, le Limousin, l’Aube, Arles et Paris.

Ville et développement durable à Nairobi

Le Parc National de Nairobi. A l'arrière, la skyline du CBD. Photographie Le Monde / Phil Moore

Le Parc National de Nairobi. A l’arrière, la skyline du CBD. Photographie Phil Moore / Le Monde

Un récent article d’Audrey Garric, paru dans Le Monde, offre un bon exemple de conflit d’usage pour un espace protégé. Il s’inscrit au cœur des thématiques étudiées en histoire-géographie en classe de 2nde. Un conflit d’usage est, en géographie, une tension entre plusieurs acteurs spatiaux qui cherchent à utiliser la même ressource ou le même espace, ces utilisations étant contradictoires. Ici, l’existence d’un Parc National protégé aux portes d’une ville, est fragilisée à la fois par les pollutions d’origine urbaine et par la pression urbaine. L’habitat informel, l’autre nom des bidonvilles (slums en anglais), autoconstruit et par définition illégal, tend à se développer dans les interstices et les marges urbaines. La progression de l’habitat informel ne touche pas le parc, mais réduit l’espace disponible autour de la ville : la zone protégée est de plus en plus considérée comme une réserve foncière. Les autorités kényanes ont déjà autorisé la construction d’infrastructures routières et ferroviaires à l’intérieur des limites du parc.

L’article d’Audrey Garric illustre les enjeux du développement durable dans les villes du Sud. La rapidité de l’urbanisation (Nairobi, 3 millions d’habitants en 2009, a été fondée en 1899) entraîne une forte artificialisation des surfaces agricoles (ici plutôt pastorales) et naturelles. Il s’agit aussi d’une urbanisation de très faible densité à l’exception du CBD (dont la disposition conforme ici au modèle théorique de la ville africaine tel qu’on l’enseignait il y a dix ans, ci-dessous). Lire la suite

Cartes du site de la Confluence à Lyon

ConfluenceConfluence en 1914Ces deux cartes, réalisées à la demande d’un professeur de collège, pourront par exemple dépanner des enseignants souhaitant travailler avec leurs élèves sur le site de la Confluence à Lyon.

La juxtaposition avec la carte de 1914 montre bien le basculement qui s’est opéré en un siècle (un pas de temps un peu long pour l’analyse des faits urbains mais j’ai été un peu contraint par la documentation). La Confluence de 1914 est l’espace de la relégation urbaine, on peut parler d’exurbanisation pour ce phénomène consistant à reléguer sur les marges urbaines les structures consommatrices d’espaces (gare, arsenal) ou productrices de nuisances (prison, usine à gaz), et souvent les deux. C’est aussi bien sûr l’espace de la relégation sociale (prolétaires, détenus), et pour beaucoup le quartier de Perrache évoque encore aujourd’hui une prostitution mal cachée. En 2014 à l’inverse la dynamique est celle de la création d’une nouvelle centralité et ce terme revient souvent dans les documents produits par les acteurs publics et privés. La séparation nette des usages a fait son temps et l’enjeu n’est plus de produire de l’urbain mais de créer de la ville, c’est à dire un espace de mixité et de densité. Le vert étant à l’ordre du jour, cela ne va pas sans la création de nombreux parcs urbains. On voit en effet que la confluence n’est plus une marge urbaine, le bâti a gagné du terrain partout autour. Enfin, le siècle écoulé a été celui d’une transition économique entre une France vouée à l’industrie, et aujourd’hui le rôle prépondérant accordé aux fonctions commerciales, culturelles et de loisirs.

Le développement durable, en tant qu’objectif, est également présent sur la carte de 2014, avec ses trois piliers (social, environnemental et économique), mais également dans une dimension plus actuelle intégrant un quatrième pilier culturel.

Voici les versions Noir et Blanc pour photocopies :

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Montreuil, « Carnet in situ » de Mehdi Zannad

Les artistes qui s’intéressent à la ville aujourd’hui sont légion. Qu’ils la prennent pour sujet (Dreamworld de Léo Fabrizio si l’on veut en citer un dont le travail nous a récemment séduit) ou bien pour support (graffitis, collages, stencil ou yarn bombing : Banksy, Invader, Miss.Tic… et une myriade de plus). A propos de la ville sujet et support (Los Angeles), on reverra également avec intérêt Mur Murs d’Agnès Varda (1981).

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Mehdi Zannad lui aussi prend la ville comme sujet et, d’une certaine façon, tout autant comme support. Il ne fait pas du graphe à Lyon ou à Toulouse, ni ne filme séduit et curieux une métropole américaine ou une mégapole asiatique. Debout dans un coin de rue de Montreuil, quelque part en bord de route, il dessine la ville sur un petit carnet qu’il remplit. Selon ce qu’il écrit dans « sa règle », lui en tant que personne intègre même le paysage. Littéralement. Le temps du croquis, le temps long de sa pose (une, deux, trois heures ou plus ?), il est aussi figé que du mobilier urbain : « Le corps devient présence, s’enracine, relie le spectacle de la rue à sa projection sur la feuille ». D’ailleurs il précise que son « street art est contemplatif et solitaire ». Un urban sketcher qui réfléchit à sa condition.

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La démocratie participative en une image

democratie participative

Résultat du vote sur le budget participatif de Paris publié sur Facebook par Anne Hidalgo, saisie d’écran, septembre 2014.

Les programmes d’histoire-géographie et d’éducation civique incitent à s’intéresser à la démocratie locale et à ses nouvelles formes d’expression. Les documents proposés par les manuels scolaires sont parfois peu satisfaisants. Cette image m’a intéressé car elle montre deux aspects de la démocratie participative, emboîtés : la participation directe des citoyens à la prise de décision, et la communication directe des élus par les réseaux sociaux. Lire la suite

Inside the Middle East, s’informer autrement sur le Moyen-Orient

Bonjour à tous, bonne rentrée à ceux qui reprennent, bonnes vacances à ceux qui repartent !

Un billet rapide pour évoquer ce journal en ligne réaliser par Sylvain Kahn, célèbre parmi les géographes pour animer une excellente émission sur France Culture intitulée Planète Terre. A écouter, toujours à 14h le mercredi mais désormais pour une heure entière.

Inside the Middle East ne se veut ni exhaustif, ni parfait mais cela reste intéressant pour ce que c’est : le point de vue d’un géographe sur une actualité complexe. Les nouveaux supports permettent aussi de nouvelles façon de s’informer, ce flipboard en est un exemple à mi-chemin entre le journal électronique et la revue de presse.

Accéder au journal en ligne

A touch of sin

 Jia Zhang-Ke, 2013 (Chine)

LE SUICIDE, RÉFLEXE ANIMAL

Comme dans The world (2004) ou 24 City (2009), le genre documentaire ne quitte pas A touch of sin (2013). Les quatre récits qui le constituent s’inspirent de faits divers. Des faits divers suffisamment violents (tufa shijian comme ils sont désignés en Chine) pour avoir marqué les esprits et avoir été largement diffusés sur internet (sur Weibo notamment, l’équivalent chinois de Twitter). Le documentaire est aussi présent dans la façon de filmer la Chine contemporaine : ses paysages, ses mutations, ses populations et leurs migrations.

Les quatre histoires se situent dans quatre endroits très différents en Chine. Chaque protagoniste traverse ces territoires en suivant des parcours plus ou moins longs : dans la province houillère du Shanxi (nord-est de la Chine) où le paysage est sec et rocailleux, dans la mégalopole de Chongqing au centre du pays et au bord du Yangzi (San’er y arrive par bateau), dans une ville de la province du Hubei près de Yichang (centre-est du pays), et dans l’immense conurbation de Dongguan, centre manufacturier du Guangdong (près de Hong Kong). Il n’est pas inintéressant ici de se reporter à une carte, aussi synthétique soit-elle, afin de bien saisir les déséquilibres territoriaux en jeu dans cet immense pays.

Un exode rural massif

Les migrations se font le plus souvent pour des raisons économiques des provinces continentales vers les métropoles ou mégapoles industrielles orientales (littorale dans le cas de Canton, grand pôle de croissance et premier foyer d’emploi des mingongs, les travailleurs migrants). L’exode rural massif 3 que connaît la Chine depuis la fin du XXe siècle n’intéresse pas les enfants et les vieillards laissés dans les campagnes.

Malgré les distances parcourues, au début, les générations en âge de travailler ne rompent pas complètement avec leurs racines puisque, à défaut de fréquents allers-retours, une correspondance est entretenue (d’autant plus avec internet et les smartphones). Et surtout, une partie de l’argent gagné en ville est envoyé aux familles laissées derrière. La rupture n’est donc pas brusque mais un détachement se fait sentir, accentué lorsque le travail absorbe toute l’énergie de l’ouvrier ou bien si celui-ci a du mal à stabiliser sa situation passant d’un logement à un autre, d’un employeur à un autre (dans le film, c’est le garçon qui n’a pas pu envoyer l’argent à sa mère et qui, lors d’une conversation avec elle, tient à distance le téléphone pour ne pas avoir à entendre ses reproches).

En outre, Jia Zhang-Ke ne laisse pas croire à une amélioration de ces situations et conclut chaque migration, presque chaque déplacement d’un coup d’arrêt brutal : ce motard qui file sur la route dans les montagnes et qui est arrêté par trois bandits, cet autre motard que le premier ne tardera pas à croiser et qui est arrêté devant un camion renversé, un train à grande vitesse qui entre en collision sur un viaduc avec un convoi de marchandises, un provincial qui vient travailler en ville et qui se suicide.

L’argent, réseau invisible

Alors que les liens familiaux et sociaux se distendent, ceux de l’argent en revanche se tirent et se raidissent. Durant tout le film, parallèlement aux quatre destins décrits, le réalisateur met aussi en évidence ce réseau structuré par l’argent qui asservit les plus modestes à une élite patronale et financière, qui asservit la Chine isolée de l’intérieur à celle mondialisée des littoraux ; ainsi, le jeune provincial ouvrier dans une usine possédée par un patron de Taïwan ou les hôtesses en uniforme dans un bordel de luxe fréquenté par la riche clientèle de Hong-Kong. Une des images les plus fortes du film est celle de Xiaoyu fouettée au visage avec une liasse de billets par un client du sauna où elle travaille. À genoux, à chaque claque, elle se retourne pour affronter le regard de ce pauvre type fat et bientôt mort. Le type frappe et frappe encore, ce que faisait plus tôt dans le premier récit un paysan qui battait son cheval épuisé. Mais les tortionnaires sont bloqués à leur tour et finissent par rencontrer toute la violence d’un peuple qui n’est plus capable de se défendre autrement que par un réflexe animal.

A l’image, le réseau révélé s’inscrit à différentes échelles sur un territoire donné. Il s’agit d’un réseau à la fois géographique et économique que font d’abord apparaître les paysages et la pluralité des voies de communication, les chemins poussiéreux et les autoroutes urbaines, les ponts et les passerelles jetés par dessus les fleuves et les vallées. Les gens circulent à moto, en bus, en train et même à pied sur ces routes qu’ils ne quittent pas et qui les conduisent souvent dans des zones de correspondance et d’échanges (une gare, une aire d’autoroute, un marché portuaire), en tout cas jamais dans un lieu où longtemps séjourner.

Par ailleurs, les infrastructures filmées sont parfois encore à l’état de chantier (un viaduc inachevé, un aéroport en construction) et, se perdant dans la nuit, dans la brume, ou faisant demi-tour sur elles-mêmes, il arrive qu’elles manquent à remplir leur fonction. Les flux sont alors empêchés et les déplacements interrompus. Pourtant, le contexte pousse bien à partir, ce qu’exprime d’ailleurs la mère de Xiaoyu « Si tu restes ici, tu n’auras rien ». Alors quelle solution ? Partir à la ruine ? Rester et se laisser submerger comme la cité de Fengjet (Still life, 2007) ?

Ce réseau est aussi invisible, détaché de tout territoire, « hors-sol ». C’est le cas lorsque l’argent circule par mandat des villes aux provinces. De la même manière, et plus étendu encore, avec les écrans nombreux qui en tout lieu connectent tout le monde. Cependant, ces écrans entretiennent moins l’interactivité que la passivité des populations face à la situation. Le réseau devient un instrument de l’État et personne ne prend jamais conscience des intérêts communs, de la nécessité de s’organiser et de réagir. Enfermés dans des bus et des salons, rendus inoffensifs, tous préfèrent en effet somnoler devant ces écrans 4. Du Shanxi au Guangdong, on s’éloigne de la capitale et du pouvoir politique complètement absent. Alors que dans les usines du Sud on retrouve la photo du patron corrompu et de sa femme déjà croisés dans les mines du Nord 5. En définitive, Jia Zhang-Ke procède à la mise en image d’un réseau complexe, au maillage dense, étendu à tout le territoire et le déséquilibrant économiquement et socialement. Un réseau où tous les flux sont régis par l’argent. Le réseau d’une économie viciée sur lequel les personnes circulent seules, contraintes et tiraillées. Celui pernicieux où la violence seule n’est plus interrompue.

Article à lire dans sa version complète sur La Kinopithèque.

Coupe du monde 2014 : la carte des stades

Carte des stades du Brésil - coupe du monde 2014La coupe du monde de 2014 se déroulera cet été au Brésil, au cas où l’information vous aurait échappé. C’est la deuxième fois que le pays reçoit la rencontre, la première avait eu lieu en 1950. La répartition des stades correspond à celle du peuplement et des grandes agglomérations, classique dans les pays issus de la colonisation : la densité est importante près du littoral et faible dans l’hinterland. Les Portugais se sont d’abord installés sur le littoral du Nordeste, où on retrouve les stades de Fortaleza, Natal, Recife, et enfin Salvador où la France affrontera la Suisse le 20 juin prochain. Le centre de gravité démographique du pays s’est ensuite déplacé vers le Sud, notamment avec l’exploitation des ressources minières du Minas Gerais et les débuts d’industrialisation du pays au début du XXe siècle. Les plus grandes métropoles sont ici, et elles sont représentées par l’Arena de São Paulo et le mythique stade de Maracana à Rio de Janeiro. Deux autres stades sont situés dans le Sud. D’une part, celui de Curitiba, ville couramment citée comme modèle de développement durable à l’échelle d’une agglomération, et d’autre part celui de Porto Alegre, cette ville célèbre pour son rôle dans la contestation de la domination économique des pays du Nord, puisque la première édition du Forum Social Mondial s’y est déroulée en 2001. C’est à Porto Alegre que la France sera opposée au Honduras le 15 juin prochain. Avec la construction ex-nihilo d’une nouvelle capitale en 1960, Brasília, et la mise en place d’un front pionnier en Amazonie, la centre de gravité du pays s’est à nouveau déplacé, cette fois vers l’Ouest. L’avenir du Brésil réside dans ces vastes espaces qui font figure de réserve de terres agricoles, mais qui sont aussi l’enjeu d’une double prise de conscience, celle du rôle politique à accorder aux premiers habitants du pays, les Amérindiens, et celle des menaces pesant sur les milieux naturels de la plus vaste forêt équatoriale du monde. Les stades de Brasilia et de Cuiabá sont représentatifs de cette conquête de l’Ouest, ainsi que celui de la grande métropole amazonienne, Manaus. Lire la suite

Dominique Marchais dans les pas des géographes (ruralistes)

Affiche du FilmLa ligne de partage des eaux est un long-métrage documentaire (1h48) réalisé par Dominique Marchais, sorti en salle le 23 avril 2014, et distribué par Les films du losange.

En ces temps de vulgate populiste sur le supposé dysfonctionnement du « mille-feuille territorial », les occasions de redonner du crédit, à ce que l’on préfèrerait appeler « le jeu d’échelle démocratique », sont suffisamment rares pour être notées. En se penchant sur les causes et les conséquences des mutations paysagères sur un bassin versant, appréhendé comme un écosystème, l’enquête géographique de Dominique Marchais apporte avec beaucoup de finesse une nécessaire nuance ondulatoire dans cet océan de contre-vérités territoriales et de tsunami réformiste. Ainsi, dès le titre, l’usage de la métaphore géographique de la ligne de partage des eaux, si elle renvoie à la frontière qui sépare des bassins versants, apparait aussi comme une ligne politique reliant des individus et des groupes qui ont quelque chose en partage.

LIGNE DE PARTAGE DES EAUX FA HD VOFR from Les Films Du Losange on Vimeo.

Une géographie totale au fil de l’eau

Le bassin versant décrit par Dominique Marchais draine en effet avec lui tout ce qui fait l’intérêt géographique, politique, sociologique et historique des études rurales contemporaines. Certes le film ne peut prétendre embrasser toutes ces problématiques, mais il a l’immense intérêt d’en faire un objet avec ses propres logiques (trop souvent traité sous le prisme d’une généralisation de l’urbain), sans le déconnecter d’un contexte général (face aux nombreux récits d’utopies locales auto-réalisatrices). En effet, s’il s’arrête sur des éléments situés qui servent traditionnellement à distinguer les territoires (paysage agricole, promotion immobilière et urbanisme, tourisme patrimonial, milieux naturels, marketing et développement économique), le film s’avère être un formidable incubateur de liens, de rencontres, et de connexions entre les espaces. Des liens fragmentés, mais rassemblés autour de ce qu’ils produisent comme relation «au pays », et aussi par la manière dont ils fragilisent de façon concomitante un écosystème global, où la campagne ne se pense pas indépendamment de la ville. Lire la suite

A l’Est, des villes américaines contrastées

Publiée à l’origine dans l’article consacré à Charlotte et au travail d’animation vidéo de Rob Carter, nous isolons ici, pour un usage libre, une version décontextualisée de la carte sur le dynamisme démographique des villes de l’Est des États-Unis. Pour rappel, nous nous étions intéressés à l’échelle des municipalités pour coller au plus près du sujet des fonctions métropolitaines traité dans le cas de Charlotte. Le périmètre de la population communale reste donc le cadre statistique utilisé ici, en y ajoutant une représentation de la population des aires métropolitaines ; façon d’appréhender rapidement le poids de la « suburbanization » dans les régions métropolitaines américaines (voir notamment Miami).

Faudrait pas froisser Charlotte

Pour ceux qui comme moi ont d’abord connu Charlotte par son équipe de basket, et feu le petit frelon bleu des Charlotte-Hornets, force est de constater qu’aujourd’hui encore ça bourdonne pas mal dans la plus grande ville de Caroline du Nord [1]: la croissance démographique y est de manière continue l’une des plus forte des États-Unis (réf. United States Census Bureau [2]) et son développement urbain semble frénétique. C’est cet aspect urbanistique que le travail d’animation-vidéo de Rob Carter traite de manière pédagogique et engagée. En permettant au spectateur de suivre en 9 minutes une histoire abrégée de la ville (à travers un processus de narration original mettant en mouvement des images aériennes de la ville), l’artiste fait revivre les strates de l’histoire urbaine de Charlotte, pour recréer le paysage de l’expansion d’une métropole américaine, jusqu’à son dénouement apocalyptique.

Lien Vidéo. Metropolis by Rob Carter – Last 3 minutes from Rob Carter on Vimeo.

L’intégralité de la vidéo est consultable sur le site internet de l’artiste.

http://www.robcarter.net/Vid_Metropolis.html

Tectonique des plaques urbaines à Charlotte

Vue dans le cadre de l’exposition « Rêves d’Icare » au centre Pompidou-Metz, qui traitait de l’influence de la vue aérienne sur la perception que les artistes ont du monde [3], l’animation de Rob Carter fait commencer l’histoire de la ville à partir des années 1750, sur un chemin forestier du territoire des indiens de Catawba [4] où l’on assiste à la construction de la première maison de colons (ce que ne renieraient pas les fans de Civilization…). De là, nous voyons la ville se développer avec dans un premier temps la prospérité de la ruée vers l’or, puis l’émergence d’une multitude d’églises (ce qui a rendu la ville célèbre), et enfin la naissance des infrastructures d’une ville moderne. Le film s’attarde alors tout particulièrement sur les effets du boom économique des 20 dernières années sur l’architecture urbaine, avant d’envisager sa chute. Lire la suite

Une carte de la Tasmanie

tasmanie carteLa carte générale de la Tasmanie, qui a servi de support à la première géodevinette de La Géothèque sur les réseaux sociaux, est une entreprise artistique. Évidemment, le mot est très prétentieux, dans la mesure où prétendre faire de l’art équivaut à revendiquer le statut d’artiste. Je n’en suis pas là du tout. Mais il s’agirait d’art dans la mesure où cette carte est inutile, et ne sert qu’à procurer du plaisir à son auteur et à ses lecteurs ou spectateurs (une carte se lit-elle avant tout, ou se regarde-t-elle plutôt, d’ailleurs ?). Elle est inutile, parce que personne n’a besoin de moi pour se procurer une carte de la Tasmanie, à l’heure de Google Maps. Toutefois, elle met en lumière ce territoire : ce n’est pas parce qu’on peut obtenir la carte de la Tasmanie à tout moment qu’on le fait. J’ai donc voulu forcer à regarder cette carte, à regarder cette Tasmanie. L’idée vient d’un article du Monde qui m’a forcé à jeter un œil sur cette terre méconnue1Je ne retrouve plus le lien.. Tout est fait pour attirer le regard, à commencer par la taille des caractères. Ça a quelque chose de la carte murale, faite pour pénétrer les têtes des enfants de toponymes qu’ils ne devront plus oublier. (Paris, Lille, Haute-Volta, Tananarive). À l’échelle de la Tasmanie, une ville aussi insignifiante que Launceston peut étaler fièrement ses dix lettres. L’autre méthode, un peu violente, pour accrocher le regard, est l’inversion des couleurs. Comme le logo de la Géothèque, le rouge proclame une géographie différente, une géographie qui n’est pas bleue et verte. Le but est aussi de questionner un code bien ancré de la cartographie : les terres sont vertes ou brunes comme la terre ou la végétation qui la recouvre, et les mers en bleu (cyan 15 % en CMJN, pour la plupart de mes cartes). Mais la terre n’est pas que verte, brune et bleue, pas plus que les rivières de la réalité ne sont cyan. Puisque le choix des couleurs est un parti pris, pourquoi ne pas pousser jusqu’au bout en choisissant une autre gamme chromatique ? La Tasmanie, avec sa forme de toison pubienne, comme manifeste d’une géographie charnelle, une géographie « près du corps » ?

La carte ne dit rien d’autre. Elle n’apprend rien sur la Tasmanie, sauf la localisation de quelques lieux habités, des routes et des lacs. Le cartouche permet aussi de la situer par rapport au mainland australien et au port de Melbourne. Comme Rostand le fait dire à Cyrano : « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile. »

Notes

Notes
1 Je ne retrouve plus le lien.

Ma rencontre avec Zaatari : chronique d’une curiosité géographique

Il y a 6 mois, le camp de réfugiés de Zaatari devenait mondialement connu et médiatisé à la suite de la visite de John Kerry[1]. Il y a 6 mois, le camp de réfugiés de Zaatari devenait le centre de mes attentions alors que ma sœur s’y rendait dans le cadre d’une mission humanitaire.

Comment parler de si loin de la guerre en Syrie

Une remarque liminaire s’impose : il est délicat d’écrire sur cette histoire qui croise l’actualité internationale sans interroger ma propre légitimité. Comment, en effet, écrire sur un « objet » si conflictuel et multiple que la guerre en Syrie, sans la profondeur d’analyse des experts en géopolitique[3] ? Comment écrire sur un « sujet » si balayé par les tempêtes successives d’actualités instantanées que celui du « dossier syrien », sans les outils des sources de l’enquête journalistique ? Comment écrire sur une « réalité » sociale si alarmante et sensible que le destin des populations civiles, sans en maîtriser ni la complexité humaine et culturelle, ni les codes propres aux situations humanitaires ?

La question est donc aussi de savoir si l’on peut décrire une situation sans déployer un appareillage méthodologique précis et conceptualisé ? Peut-on retranscrire une réalité de terrain, sans faire de terrain ? Annoncer ces questions, c’est prendre une part de précautions quant aux limites de la validité de l’exercice entrepris. Mais c’est aussi prendre des libertés et pointer du doigt l’intérêt des outils du géographe et la capacité heuristique d’un exercice à portée certes limitée, mais fruit d’un vécu et de sa mise à distance. C’est à ce courant d’air frais sur un sujet balisé de toutes parts que cet article invite, en suivant mon cheminement, celui qui m’a permis de découvrir de près une réalité lointaine.

Regarder avec l’œil de la curiosité géographique. Lire la suite

Etats-Unis, deux cartes de l’agriculture niveau collège

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Deux cartes des fameuses « Belts » et des espaces ruraux et agricoles aux Etats-Unis. Une carte en couleurs pour vidéoprojecteur, une carte muette en noir et blanc à faire compléter par les élèves. La carte est pensée pour localiser les paysages ruraux étudiés en classe de sixième : les types d’orientation agricole sont donc simplifiés, mais même dans leur forme actuelle, ils restent trop complexes pour des 6e, à moins de nécessiter de longues explications. Les trous de la légende portent donc sur quelques mots-clés en lien avec l’étude des paysages ruraux. En revanche, cette carte peut constituer un point de départ à une étude plus approfondie en classe de Seconde. Notez que depuis le début des années 2000, la célèbre Corn Belt est devenue la Corn and Soy Belt. Cartes téléchargeables gratuitement pour usage pédagogique et non lucratif. Pour toute utilisation en ligne, merci de citer vos sources…

Ma part du gâteau : les espaces de la mondialisation mis en image

En dépit du jeu plutôt correct des acteurs et de nos sourires occasionnels, on s’agace devant les personnages trop caricaturaux et on désespère assez vite de dégager du film autre chose que l’idée déjà rebattue d’une rupture entre les centres de décisions et les lieux de production. Pourtant, si Klapisch rate l’histoire de France et de Steve (devenant n’importe quoi sur le dernier quart d’heure), il propose une mise en images des espaces qui, elle, suscite davantage d’intérêt.

Il distingue tout d’abord les lieux de vie de ses protagonistes. Plutôt que le travail peu original effectué avec sa chef décoratrice sur les intérieurs (lumineux et froid chez le trader, plein de vie chez France), retenons une autre distinction spatiale. Depuis les hautes tours des quartiers d’affaires de La City ou de la Défense, ou bien sur les balcons d’un hôtel à Venise, le trader ne quitte pas les hauteurs. Il croit avoir là « les pieds sur terre » mais pour dominer a perdu tout contact avec l’humain : « il vit sur Mars ». La petite employée, elle, parcourt les routes entre Dunkerque et Paris, longe les quais ou les plages. Klapisch travaille l’horizon et la ligne de fuite avec France comme pour lui ouvrir les yeux sur d’autres perspectives ou, du moins, alors qu’il l’enferme dans un fourgon de police en toute fin de film, laisser au spectateur espérer une autre issue. Lire la suite

Qu’est-ce qu’un milieu ?

Un milieu est un espace caractérisé par des données naturelles et aménagé par les Hommes.

Un milieu est un espace caractérisé par des données naturelles et aménagé par les Hommes.La notion de milieu ou milieu « naturel » est difficile à appréhender. En France métropolitaine, il n’existe aucun espace entièrement naturel. Certains travaux montrent que même la forêt amazonienne a été aménagée depuis des siècles par ses habitants qui, en sélectionnant et en favorisant certaines espèces, ont modifié la composition de la couverture végétale.

La notion de milieu associe donc étroitement l’homme et la nature. On parle de données naturelles, mais elles ne sont pas nécessairement antérieures à l’action humaine. En effet, par son action sur le milieu, l’homme modifie la nature et peut aussi contribuer à favoriser la biodiversité. Par exemple, le bocage traditionnel offre une plus grande diversité d’habitats pour les espèces animales que la forêt qui le remplacerait s’il disparaissait.

Les actions de l’homme visent à exploiter les ressources du milieu. Ce faisant, il peut le menacer : c’est-à-dire déséquilibrer son fonctionnement. Les actions de protection doivent alors être mises en place, de préférence avant la dégradation. L’abandon d’un milieu qui cesse d’être exploité peut aussi le menacer. Ainsi, les paysages des montagnes sèches méditerranéennes sont d’origine anthropique (humaine) : elles sont le résultat de siècles de pâturage. Le recul de l’élevage peut conduire à un enfrichement des pentes et accroître le risque d’incendie.