
La géographie s’est beaucoup intéressée à la pauvreté. L’étude des inégalités sociales est même une branche à part entière appelée géographie sociale ou radicale, dont Pierre George, David Harvey, ou Michel Philipponneau sont d’éminents représentants. Toutefois, les géographes peuvent également, à l’instar du couple de sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, se préoccuper du sort des riches.
Nous nous sommes intéressés, dans notre note précédente, aux banlieues riches de Los Angeles, mais le territoire français possède aussi des « Canoga Park » (ou des « Whisteria Lane » pour les téléphages). L’un d’eux se situe à la sortie de l’autoroute A13 reliant Paris à Rouen (ou si vous préférez, Auteuil à Deauville), dans le département des Hauts-de-Seine. Selon Wikipedia.fr, jamais avare d’informations factuelles, cette coquette commune est la moins peuplée et la moins dense du département (1743 habitants, 490 hab./km² (1)). Selon le ministère des finances, la commune bat un autre record, celui du revenu par habitant (81 746 € par an (2)). Comme souvent, il ne s’agit qu’une terne moyenne, qui masque probablement des écarts considérables puisque certains habitants de la commune comptent parmi les plus riches de France. Pour mieux connaître les préoccupations de ces habitants, on peut consulter la page « Sécurité » du site officiel de la municipalité (3), qui offre de précieux conseils pour les vacances :
« Que faire en cas d’absence durable ?
– Avisez vos voisins ou le gardien de la résidence.
– Signalez votre absence au commissariat de police: dans le cadre des opérations » Tranquillité vacances « , une tournée de surveillance sera alors mise en place.
[…]
– Votre domicile doit paraître habité : demandez que l’on ouvre régulièrement vos volets.
[…]
– Placez vos bijoux et valeurs en lieux sûrs (les piles de linge sont les cachettes les plus connues). »
La photo 1 (ci-contre, cliquez dessus pour agrandir) permet de découvrir le nom de cette fameuse commune – mais peut-être l’aviez-vous deviné ? Les panneaux routiers (Suresnes, Garches) indiquent que nous sommes bien dans l’Ouest de la région parisienne. Au premier coup d’œil, la maison semble indiquer une banlieue pavillonnaire banale, aisée sans doute mais pas nécessairement huppée. Le nom du quartier « Domaine de la Marche », assurément pompeux, peut aussi bien être un leurre comme tant de dénominations locales cachant seulement un désir de reconnaissance (« Résidence les Lilas », « Villa Bellevue »). Cela dit, deux indications nous montrent qu’il s’agit d’une petite gated community, d’un quartier résidentiel fermé. D’une part, la barrière, ici levée (modeste comparée aux grilles d’entrées de certains quartiers), et d’autre part le panneau à droite « Domaine privé – voie sans issue » qui indique qu’il s’agit d’une voie privée et que le quartier n’a qu’une entrée. La photographie aérienne 2a (tout en haut) permet de corroborer ces suppositions. On repère l’angle de vue en rouge sur la photographie aérienne.
Les plus riches résidents de la commune (Johnny Hallyday, Hugues Auffray, Jacques Séguéla, l’émir du Qatar… cf article du Canard Enchaîné ci-après) préfèrent se replier derrière un parc arboré entouré d’un haut mur dont le portail est solidement surveillé comme sur la deuxième photographie (ci-contre). Géoportail permet là encore de s’introduire impudiquement dans l’intimité douillette de cette modeste masure. On la retrouve sur la photographie aérienne 2b (tout en haut) qui dévoile une habitation de taille enviable entourée d’un parc non moins vaste. Les amateurs de croustillant se plairont à imaginer que c’est ici que réside l’une des personnalités citées plus haut.

L’article du Canard Enchaîné (4) qui nous a donné l’idée de cette note offre un excellent exemple des difficultés rencontrées par les autorités pour mettre en œuvre une vraie politique de mixité sociale. La loi dite Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), promulguée en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, impose un quota de 20% de logement social dans chaque commune, dans le but de favoriser la mixité sociale intra-communale. On sait les limites de cette loi qui permettait aux communes en infraction de payer une lourde amende, ce que se sont empressées de faire les plus riches d’entre elles comme Neuilly-sur-Seine, dirigée alors par qui-vous-savez.

D’après l’article du Canard Enchaîné (ci-dessus) Marnes-la-Coquette a trouvé une idée plus originale : construire les logements sociaux dans un petit espace disponible, compris entre l’autoroute et une voie ferrée. En élargissant le cadre (photo aérienne ci-contre) on remarque à l’Ouest de cet espace entouré en rouge le musée des Applications de la Recherche de l’Institut Pasteur (5). L’article révèle un exemple intéressant des enjeux de la ségrégation socio-spatiale dans la gestion communale, qui donne à penser sur les limites de l’unité républicaine, lorsqu’elle devrait s’appliquer notamment aux plus riches.
Rédaction : Jean-Benoît Bouron, photographies : Lucie Diondet
Notes et Sources :
(1) source : INSEE 2006
(2) source : www.Bakchich.info, 30 janvier 2008
(3) source : http://www.marnes-la-coquette.fr/marnes_la_coquette/menu_haut/vivre_a_marnes/securite
(4) source : Le Canard Enchaîné, mercredi 19 août 2009, p.5
(5) merci à Jocelyn Massot pour avoir identifié ce bâtiment et m’avoir fait parvenir ses conclusions.
Les photographies aériennes sont tirées du site de l’IGN, Geoportail.fr