Gentrification ou embourgeoisement ? Episode 1: Confluence à Lyon, attirer le capital par la requalification urbaine (par Elias Makhlouf).

Depuis les années 2000, le projet de renouvellement urbain « Confluence », situé au sud de la presqu’île lyonnaise, dans le quartier de Perrache, vise à requalifier une ancien quartier ouvrier marqué par les fonctions fluviales et industrielles, dont on peut encore percevoir quelques traces dans le paysage. Il s’agit d’un projet en vue d’attirer et de fixer les capitaux dans un territoire central mais relativement délaissé de la métropole lyonnaise. Le programme est un appel aux investisseurs qui souhaitent s’inscrire dans une démarche durable avec la création d’un écoquartier (Comby, 2013). Ce projet repose sur de vastes programmes architecturaux comprenant des habitations, des espaces de loisirs, des commerces, et des bureaux, selon les principe de la mixité fonctionnelle. Un processus de gentrification est visible mais il ne suit pas le modèle classique, tel que défini entre autres par Mathieu Van Criekingen en 2013. En effet, deux types de gentrification nouvelle se superposent : une « gentrification ex-nihilo » (Davidson & Lees, 2005) et une éco-gentrification (Béliveau Côté, 2018). 

Extrait de la carte IGN au 1/25000ème du quartier Confluence, entre Rhône et Saône. Source : Géoportail

Au-delà du réinvestissement d’un espace perçu comme répulsif par les autorités municipales, et en tout cas sous-occupé, il s’agit aussi d’une opération de marketing territorial, reprenant tous les codes de l’exercice (Adam, 2020). Il s’agit notamment de renforcer l’attractivité métropolitaine de Lyon et de faire du quartier une vitrine de la modernité urbaine. Les promoteurs ont ainsi souhaité mettre en avant le quartier en innovant sur le plan architectural, technologique et environnemental (Grudet, 2010). Outre les vastes programmes de production urbaine dans la partie centrale du quartier, le projet s’appuie sur la construction d’un grand musée à la pointe sud du quartier. L’objectif est d’en faire un monument emblématique de la ville et des mandats de son maire, Gérard Collomb (2001-2020, avec une année d’interruption). Commencés en 2006, les travaux aboutissent en 2014 après de nombreuses péripéties liées à l’envasement du site choisi, sur les alluvions de la confluence Saône-Rhône. Le projet reflète aussi une recherche d’attractivité touristique, voire d’un effet Bilbao. Le projet a également pour ambition de réhabiliter des friches industrielles pour attirer des investisseurs selon une logique d’offre. Plusieurs bâtiments sont détruits pour laisser place à de nouveaux édifices, selon la logique de la rénovation urbaine. Inversement, la réhabilitation urbaine se fait en préservant le caractère architectural du bâtiment et en changeant souvent l’activité pour attirer davantage. On peut citer les exemples de l’ancien port Rambaud, transformé en un lieu de vie nocturne, et celui des anciennes prisons Saint-Paul et Saint-Joseph, qui sont désormais une université catholique privée et un ensemble de commerces (Adam, 2020).

Le projet « Confluence » cherche à transformer une marge urbaine en un écoquartier caractérisé par un bâti respectueux de l’environnement, des moyens de transport doux et des trames vertes et bleues. Cependant, la réhabilitation urbaine est critiquée quant à son orientation sociale conduisant à une éco-gentrification. Les promoteurs ont exploité l’image de la nature en ville pour attirer une clientèle aisée, provoquant une hausse des prix dans le secteur. En effet, la dimension publicitaire du quartier est centrale, comme le montrent les panneaux publicitaires des futures constructions placés à différents endroits du quartier (cf. photo ci-dessous). Le projet initial de développement durable a été réalisé dans une mesure limitée, car les aspects sociaux ou économiques n’ont pas été pris en compte, et les objectifs écologiques ne sont que partiellement atteint. On peut citer le fait qu’une partie du quartier central du projet, autour du mall Confluence (appartenant à la multinationale du secteur Westfield) et de l’hôtel de région, a bel et bien été fermée aux voitures pour encourager les mobilités douces ; néanmoins, rien n’empêche de prendre la voiture pour accéder au centre commercial, pourtant situé en centre-ville, comme le vante le site internet de Westfield : « Le parking de Confluence met à votre disposition 1516 places, un accès facile, en plein cœur de ville, à votre service 7/7 jours. Accès parking : 7 rue Paul Montrochet, 69002 Lyon » (Westfield, consulté en 2024). On peut aussi relever le fait que si le projet prévoit de préserver la mixité sociale, notamment en respectant la loi sur la proportion de logements sociaux, voire en dépassant les 20 % réglementaires pour le quartier Montrochet ou Sainte-Blandine (INSEE, 2023), 15% d’entre eux correspondent en réalité à la tranche la plus chère du dispositif (PLS) (Lyon Confluence, 2020). Le plafond de ressources pour accéder à un logement social PLS à Confluence est de 26 159 € pour une personne seule. Le revenu médian annuel se situant en France autour de 22 040 € en 2019 (Guidevay Yann et Guillaneuf Jorick, 2021), une personne dont les ressources dépassent celles de la médiane nationale peut prétendre à un logement social correspondant à la catégorie PLS. Si la mixité n’a pas disparu du quartier, les dynamiques de long terme, en particulier en ce qui concerne le prix du logement, sont défavorables aux classes populaires. La partie bordant la Saône est devenue un lieu d’activités métropolitaines créatives, avec la présence de sièges d’institutions publiques et d’entreprises travaillant dans la communication, les nouvelles technologies, le design et la culture. Ainsi, la part des CPIS a doublé dans la zone, alors que celle des employés a largement diminué (Decorme et Ferrante, 2017). De plus, les loisirs accessibles dans le centre commercial sont, dans la majorité, payants et l’offre de magasins se veut haut de gamme avec des enseignes comme Apple, Izac ou Swarovski (malgré la présence d’un McDonald et un Burger King).

Publicité pour le nouveau quartier de Confluences. Cliché d’Elias Makhlouf, 20 novembre 2022, Allée Susan Sontag, Lyon 2.

Article et étude de cas réalisés par Elias Makhlouf.


Sources:

Insee, 2023, « Logement en 2020 », [en ligne], consulté en février 2024.

Lyon Confluence, 2020, « Les mixités, de l’idée à la réalité », Lyon Confluence, consulté en février 2024, URL : 

Westfield, Confluences, parkings et accès. Consulté en janvier 2024.

Études:

Adam Matthieu, 2020. « Confluence, vitrine et arrière-boutique de la métropolisation lyonnaise ». Géoconfluences. [en ligne]. 

Béliveau Côté Guillaume, 2018, « L’éco-gentrification », [en ligne], Villes Régions Monde.

Comby Emeline, 2 juin 2013, « Les discours de presse sur les reconquêtes du Rhône lyonnais (Le Progrès, 2003-2010) », Géocarrefour, [en ligne], vol. 88, no 1, pp. 31‑43.

Criekingen Mathieu Van, 2014, « Qu’est-ce que la gentrification ? », L’Observatoire, [en ligne], no 79, consulté en février 2024.

Davidson Mark et Lees Loretta, 2005, « New Build ‘Gentrification’ and London’s Riverside Renaissance », Environment and Planning A, [en ligne], vol. 37, pp. 1165‑1190.

Decorme Hélène, Ferrante Aline et INSEE, 2017 « En 30 ans, davantage de cadres et d’employés non qualifiés », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes, [en ligne], no48.

Guidevay Yann et Guillaneuf Jorick, 2021, « En 2019, le niveau de vie médian augmente nettement et le taux de pauvreté diminue », Insee première, [en ligne], no1875.

Grudet Isabelle, « Jeu d’images intermédiaires : le grand projet architectural et urbain de Lyon Confluence », Sociétés & Représentations, [en ligne], 2010, vol. 30, no 2, pp. 111‑122.

Gentrification ou embourgeoisement ? Écarts, processus, et résistances (France, Etats-Unis).

La gentrification a été abondamment étudiée en géographie ces dernières années en France et aux États-Unis (Clerval, 2013 ; Harvey, 2011) dans une perspective critique. Classiquement, « la gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement d’un espace populaire qui passe par la transformation de l’habitat, des commerces ou de l’espace public. Il s’agit d’une transformation sociale qui se traduit par une transformation matérielle et symbolique de l’espace. C’est aussi un processus d’appropriation d’un espace populaire par des groupes sociaux généralement issus des classes moyennes et supérieures et, parallèlement, une dépossession des habitants des classes populaires » (Clerval, 2022).

Ce modèle s’appuie sur des études territoriales variées (Authier, et al., 2008) qui mettent en exergue une dynamique souvent uniforme d’éviction des plus pauvres du centre-ville au profit d’une population plus aisée.  Pourtant la gentrification est moins linéaire qu’elle n’y paraît (Chabrol et al., 2016). C’est l’objectif du tour d’horizon que nous proposons : appréhender la diversité des formes d’embourgeoisement de la ville néolibérale, autant dans ses contradictions que dans ses limites. Les processus d’exclusion sociale analysés dans ce kaléidoscope soulignent les écarts, les processus et les résistances à l’œuvre dans le phénomène d’embourgeoisement. Nous soulignons ainsi que la gentrification n’est qu’une modalité d’accumulation du capital parmi d’autres et qu’il existe une diversité de processus permettant d’expliquer l’enrichissement des populations urbaines.

Malgré leurs spécificités, les sept cas d’étude soulignent tous le poids prépondérant de la spéculation foncière et immobilière, lame de fond des transformations contemporaines du capitalisme urbain dans les pays du Nord. La financiarisation de la ville devient alors une force d’aménagement. Le tour d’horizon le démontre dans la diversité des terrains d’étude présentés, entre les quartiers du Grand Lyon et d’ailleurs, à Besançon, Bagnolet, Thionville, et San Francisco. Partout, les politiques publiques, ralliées aux investisseurs, renouvellent l’agencement des différents espaces de la ville selon une logique d’offre : écoquartier, banlieues frontalières, centres patrimonialisés, axes logistiques.

Introduction réalisée par Arthur Guérin-Turcq