Gentrification ou embourgeoisement ? Episode 1: Confluence à Lyon, attirer le capital par la requalification urbaine (par Elias Makhlouf).

Depuis les années 2000, le projet de renouvellement urbain « Confluence », situé au sud de la presqu’île lyonnaise, dans le quartier de Perrache, vise à requalifier une ancien quartier ouvrier marqué par les fonctions fluviales et industrielles, dont on peut encore percevoir quelques traces dans le paysage. Il s’agit d’un projet en vue d’attirer et de fixer les capitaux dans un territoire central mais relativement délaissé de la métropole lyonnaise. Le programme est un appel aux investisseurs qui souhaitent s’inscrire dans une démarche durable avec la création d’un écoquartier (Comby, 2013). Ce projet repose sur de vastes programmes architecturaux comprenant des habitations, des espaces de loisirs, des commerces, et des bureaux, selon les principe de la mixité fonctionnelle. Un processus de gentrification est visible mais il ne suit pas le modèle classique, tel que défini entre autres par Mathieu Van Criekingen en 2013. En effet, deux types de gentrification nouvelle se superposent : une « gentrification ex-nihilo » (Davidson & Lees, 2005) et une éco-gentrification (Béliveau Côté, 2018). 

Extrait de la carte IGN au 1/25000ème du quartier Confluence, entre Rhône et Saône. Source : Géoportail

Au-delà du réinvestissement d’un espace perçu comme répulsif par les autorités municipales, et en tout cas sous-occupé, il s’agit aussi d’une opération de marketing territorial, reprenant tous les codes de l’exercice (Adam, 2020). Il s’agit notamment de renforcer l’attractivité métropolitaine de Lyon et de faire du quartier une vitrine de la modernité urbaine. Les promoteurs ont ainsi souhaité mettre en avant le quartier en innovant sur le plan architectural, technologique et environnemental (Grudet, 2010). Outre les vastes programmes de production urbaine dans la partie centrale du quartier, le projet s’appuie sur la construction d’un grand musée à la pointe sud du quartier. L’objectif est d’en faire un monument emblématique de la ville et des mandats de son maire, Gérard Collomb (2001-2020, avec une année d’interruption). Commencés en 2006, les travaux aboutissent en 2014 après de nombreuses péripéties liées à l’envasement du site choisi, sur les alluvions de la confluence Saône-Rhône. Le projet reflète aussi une recherche d’attractivité touristique, voire d’un effet Bilbao. Le projet a également pour ambition de réhabiliter des friches industrielles pour attirer des investisseurs selon une logique d’offre. Plusieurs bâtiments sont détruits pour laisser place à de nouveaux édifices, selon la logique de la rénovation urbaine. Inversement, la réhabilitation urbaine se fait en préservant le caractère architectural du bâtiment et en changeant souvent l’activité pour attirer davantage. On peut citer les exemples de l’ancien port Rambaud, transformé en un lieu de vie nocturne, et celui des anciennes prisons Saint-Paul et Saint-Joseph, qui sont désormais une université catholique privée et un ensemble de commerces (Adam, 2020).

Le projet « Confluence » cherche à transformer une marge urbaine en un écoquartier caractérisé par un bâti respectueux de l’environnement, des moyens de transport doux et des trames vertes et bleues. Cependant, la réhabilitation urbaine est critiquée quant à son orientation sociale conduisant à une éco-gentrification. Les promoteurs ont exploité l’image de la nature en ville pour attirer une clientèle aisée, provoquant une hausse des prix dans le secteur. En effet, la dimension publicitaire du quartier est centrale, comme le montrent les panneaux publicitaires des futures constructions placés à différents endroits du quartier (cf. photo ci-dessous). Le projet initial de développement durable a été réalisé dans une mesure limitée, car les aspects sociaux ou économiques n’ont pas été pris en compte, et les objectifs écologiques ne sont que partiellement atteint. On peut citer le fait qu’une partie du quartier central du projet, autour du mall Confluence (appartenant à la multinationale du secteur Westfield) et de l’hôtel de région, a bel et bien été fermée aux voitures pour encourager les mobilités douces ; néanmoins, rien n’empêche de prendre la voiture pour accéder au centre commercial, pourtant situé en centre-ville, comme le vante le site internet de Westfield : « Le parking de Confluence met à votre disposition 1516 places, un accès facile, en plein cœur de ville, à votre service 7/7 jours. Accès parking : 7 rue Paul Montrochet, 69002 Lyon » (Westfield, consulté en 2024). On peut aussi relever le fait que si le projet prévoit de préserver la mixité sociale, notamment en respectant la loi sur la proportion de logements sociaux, voire en dépassant les 20 % réglementaires pour le quartier Montrochet ou Sainte-Blandine (INSEE, 2023), 15% d’entre eux correspondent en réalité à la tranche la plus chère du dispositif (PLS) (Lyon Confluence, 2020). Le plafond de ressources pour accéder à un logement social PLS à Confluence est de 26 159 € pour une personne seule. Le revenu médian annuel se situant en France autour de 22 040 € en 2019 (Guidevay Yann et Guillaneuf Jorick, 2021), une personne dont les ressources dépassent celles de la médiane nationale peut prétendre à un logement social correspondant à la catégorie PLS. Si la mixité n’a pas disparu du quartier, les dynamiques de long terme, en particulier en ce qui concerne le prix du logement, sont défavorables aux classes populaires. La partie bordant la Saône est devenue un lieu d’activités métropolitaines créatives, avec la présence de sièges d’institutions publiques et d’entreprises travaillant dans la communication, les nouvelles technologies, le design et la culture. Ainsi, la part des CPIS a doublé dans la zone, alors que celle des employés a largement diminué (Decorme et Ferrante, 2017). De plus, les loisirs accessibles dans le centre commercial sont, dans la majorité, payants et l’offre de magasins se veut haut de gamme avec des enseignes comme Apple, Izac ou Swarovski (malgré la présence d’un McDonald et un Burger King).

Publicité pour le nouveau quartier de Confluences. Cliché d’Elias Makhlouf, 20 novembre 2022, Allée Susan Sontag, Lyon 2.

Article et étude de cas réalisés par Elias Makhlouf.


Sources:

Insee, 2023, « Logement en 2020 », [en ligne], consulté en février 2024.

Lyon Confluence, 2020, « Les mixités, de l’idée à la réalité », Lyon Confluence, consulté en février 2024, URL : 

Westfield, Confluences, parkings et accès. Consulté en janvier 2024.

Études:

Adam Matthieu, 2020. « Confluence, vitrine et arrière-boutique de la métropolisation lyonnaise ». Géoconfluences. [en ligne]. 

Béliveau Côté Guillaume, 2018, « L’éco-gentrification », [en ligne], Villes Régions Monde.

Comby Emeline, 2 juin 2013, « Les discours de presse sur les reconquêtes du Rhône lyonnais (Le Progrès, 2003-2010) », Géocarrefour, [en ligne], vol. 88, no 1, pp. 31‑43.

Criekingen Mathieu Van, 2014, « Qu’est-ce que la gentrification ? », L’Observatoire, [en ligne], no 79, consulté en février 2024.

Davidson Mark et Lees Loretta, 2005, « New Build ‘Gentrification’ and London’s Riverside Renaissance », Environment and Planning A, [en ligne], vol. 37, pp. 1165‑1190.

Decorme Hélène, Ferrante Aline et INSEE, 2017 « En 30 ans, davantage de cadres et d’employés non qualifiés », Insee Analyses Auvergne-Rhône-Alpes, [en ligne], no48.

Guidevay Yann et Guillaneuf Jorick, 2021, « En 2019, le niveau de vie médian augmente nettement et le taux de pauvreté diminue », Insee première, [en ligne], no1875.

Grudet Isabelle, « Jeu d’images intermédiaires : le grand projet architectural et urbain de Lyon Confluence », Sociétés & Représentations, [en ligne], 2010, vol. 30, no 2, pp. 111‑122.

Gentrification ou embourgeoisement ? Écarts, processus, et résistances (France, Etats-Unis).

La gentrification a été abondamment étudiée en géographie ces dernières années en France et aux États-Unis (Clerval, 2013 ; Harvey, 2011) dans une perspective critique. Classiquement, « la gentrification désigne une forme particulière d’embourgeoisement d’un espace populaire qui passe par la transformation de l’habitat, des commerces ou de l’espace public. Il s’agit d’une transformation sociale qui se traduit par une transformation matérielle et symbolique de l’espace. C’est aussi un processus d’appropriation d’un espace populaire par des groupes sociaux généralement issus des classes moyennes et supérieures et, parallèlement, une dépossession des habitants des classes populaires » (Clerval, 2022).

Ce modèle s’appuie sur des études territoriales variées (Authier, et al., 2008) qui mettent en exergue une dynamique souvent uniforme d’éviction des plus pauvres du centre-ville au profit d’une population plus aisée.  Pourtant la gentrification est moins linéaire qu’elle n’y paraît (Chabrol et al., 2016). C’est l’objectif du tour d’horizon que nous proposons : appréhender la diversité des formes d’embourgeoisement de la ville néolibérale, autant dans ses contradictions que dans ses limites. Les processus d’exclusion sociale analysés dans ce kaléidoscope soulignent les écarts, les processus et les résistances à l’œuvre dans le phénomène d’embourgeoisement. Nous soulignons ainsi que la gentrification n’est qu’une modalité d’accumulation du capital parmi d’autres et qu’il existe une diversité de processus permettant d’expliquer l’enrichissement des populations urbaines.

Malgré leurs spécificités, les sept cas d’étude soulignent tous le poids prépondérant de la spéculation foncière et immobilière, lame de fond des transformations contemporaines du capitalisme urbain dans les pays du Nord. La financiarisation de la ville devient alors une force d’aménagement. Le tour d’horizon le démontre dans la diversité des terrains d’étude présentés, entre les quartiers du Grand Lyon et d’ailleurs, à Besançon, Bagnolet, Thionville, et San Francisco. Partout, les politiques publiques, ralliées aux investisseurs, renouvellent l’agencement des différents espaces de la ville selon une logique d’offre : écoquartier, banlieues frontalières, centres patrimonialisés, axes logistiques.

Introduction réalisée par Arthur Guérin-Turcq

« Au hasard d’une cité idéale, d’une cité idéale au hasard » par Benjamin Fauré.

Le cinéma permet une approche sensible et artistique de l’espace. Plusieurs réalisateurs, dont Eric Rohmer, utilise les territoires dans lesquelles s’implantent leurs films comme une métaphore des relations humaines et des péripéties que vivent les personnages. De ce fait, ils proposent une analyse sur l’espace et la manière dont les acteurs l’habitent et le construisent. Dans l’Ami de mon amie, la mise en scène de la ville participe de la narration et des liens entre les protagonistes. Benjamin Fauré est l’auteur du site La Kinopithèque où l’on peut trouver d’autres analyses en lien avec la géographie, il contribue et coordonne également la revue Zoom Arrière.

Retour sur le film d’Eric Rohmer, L’ami de mon amie (1987).

Ici, Rohmer ne laisse rien au hasard. Tout est réfléchi, soigneusement mis en scène, classé, ordonné : L’ami de mon amie, sixième et dernier volet de la série des Comédies et Proverbes, porte jusque dans son titre à la symétrie contrariée, aux intentions à peine dissimulées, l’idée d’un assemblage quasi géométrique ou mathématique et d’une affinité secrète, non seulement entre les personnes devenue amies, mais également, compte tenu de la géographie du film, entre ces amis et l’espace qu’ils habitent. « C’est un peu ce qui m’a amené à tourner ce film : confronter la vie et l’architecture, les habitudes et l’urbanisme. Il y avait là un vrai sujet de fiction et un enjeu de mise en scène. »1 Éric Rohmer structure joliment son film (et le titre en est le reflet), mais dire qu’il écarte le hasard de sa réflexion serait toutefois mal le connaître.

L’ami de mon amie (1987).

De façon plus aboutie que dans ses précédents films, car plus précis, plus complet dans ses descriptions (me semble-t-il), L’ami de mon amie « assemble » tout d’abord et juxtapose les cheminements sentimentaux de ses personnages aux espaces traversés et parfaitement identifiés. Blanche, fonctionnaire, amoureuse qui n’a pas confiance en elle, sauf à la piscine, tombe sous le charme du bel Alexandre, ingénieur à EDF, toujours en costume et prêt à séduire (« mon champ d’action porte sur l’étendue de la mégapole parisienne »), il apprécie les relations directes et davantage celle qu’il entreprend avec Léa, étudiante en dernière année d’informatique, sûre d’elle, sauf à la piscine, qui recherche un copain plus en accord avec ses goûts que Fabien, véliplanchiste gentil, sincère et rêveur, comme Blanche. À ce rectangle de personnages (Emmanuelle Chaulet, François-Éric Gendron, Sophie Renoir, Éric Viellard), s’ajoute Adrienne (Anne-Laure Meury), future ex-copine (d’Alexandre), amie gênante (de Blanche), qui vient embarrasser de ses remarques les uns et les autres et qui perturbe plus qu’autre chose l’équilibre à trouver entre les quatre premiers (la première fois qu’on la voit, c’est à la piscine où elle est aussitôt poussée dans l’eau par l’un des quatre).

Le film se déroule dans une ville nouvelle de la région parisienne, Cergy-Pontoise.

Après Les nuits de la pleine lune et Marne-la-Vallée en 1984, Éric Rohmer choisit de faire vivre Blanche et ses amis à Cergy-Pontoise. Située à 35 km au nord-ouest de la capitale, la ville nouvelle est le théâtre de vie de toutes ces personnes. Avec d’autres villes (Évry, Sénart, Saint-Quentin-en-Yvelines et Marne-la-Vallée), Cergy-Pontoise avait été pensée pour participer au rééquilibrage urbain de l’Île-de-France et, l’idée ayant été mûrie par la DATAR, son chantier fut mis en œuvre en 1970. Quand Rohmer décida de tourner, un peu plus de quinze ans après, Cergy s’était développée et la commune avait eu le temps d’ajuster ses services aux demandes des populations nouvellement installées. Dans L’ami de mon amie, Blanche et ses amis disposent par conséquent de tout ce dont ils ont besoin, ce que précise bien Alexandre au bistrot quand Blanche lui pose la question :

« Vous vous plaisez à Cergy ?

– Oui, beaucoup. Avec les 15 chaînes de télé, les lacs, les tennis, bientôt le golf, les deux théâtres, on aurait du mal à s’ennuyer. »

Rohmer s’intéresse à de jeunes actifs. Les personnages qu’il invente ont entre vingt et trente ans, habitent et travaillent en ville. Ils sont célibataires ou en couple, mais n’ont pas d’enfant. Ils ne cherchent sur leur lieu de vie ni école, ni crèche, ni services de santé, mais seulement une facilité d’accès à leur lieu de travail, des commerces et des loisirs (pour l’anecdote, la piscine où Blanche donne un cours à Léa est la même que filme par Céline Sciamma trente ans plus tard dans Naissance des pieuvres). Alexandre ajoute : « Ici, je me sens bien plus intégré à l’immensité du Grand Paris que si j’habitais au fin fond du 1er arrondissement. ». Dans le cadre de son travail, Alexandre multiplie les allers-retours entre Paris et Cergy. Il dit passer beaucoup de temps dans les transports en commun, mais ce n’est pas le cas des filles avec qui il discute qui, elles, n’ont besoin de se rendre dans la capitale que plus occasionnellement. D’ailleurs, dans les seules scènes tournées en dehors de Cergy-Pontoise, un vernissage qu’Adrienne propose à Blanche, ainsi qu’un match de tennis à Roland Garros, Rohmer ne filme pas les temps de trajet et donne l’impression d’une quasi immédiateté entre la capitale et la ville nouvelle.

La préfecture du Val d’Oise apparait dès le début du film.

Particulièrement intéressé par la forme urbaine, le cinéaste, qui avait déjà consacré un documentaire à Cergy-Pontoise, Enfance d’une ville (1975), donne une image plutôt positive de ce grand projet d’aménagement et de ce qu’est devenue la ville. Les premiers plans du film sont des paysages du quartier dallé de Cergy-Préfecture. Le titre, « L’ami de mon amie », apparaît sur une vue du bâtiment le plus emblématique, la préfecture du Val-d’Oise, le premier construit de la ville nouvelle et qui a la forme d’une pyramide inversée (on le doit à Henry Bernard, l’architecte de la Maison de Radio France). Les allées et venues dans ce même quartier, ainsi que dans le quartier de la gare sont nombreuses : les quatre compagnons s’y rencontrent, parfois par hasard, entre les commerces et les cafés et le long de l’Axe Majeur qui se poursuit jusqu’au passage de l’horloge géante.

« Ça doit être triste de vivre ici toute seule. »

Ces espaces publics ont tout de la cité idéale telle qu’elle a été pensée à la Renaissance : axe principal, symétrie et harmonie des lieux, lumière… La forme est dictée par la raison et là, plusieurs centres permettent à ses habitants de se croiser et d’échanger. Le pouvoir départemental et le pouvoir municipal qui reviennent à la préfecture et à la mairie, où Blanche travaille, constituent d’ailleurs deux centres distincts (à une heure à pied l’un de l’autre). L’architecture moderne de la cité du Belvédère d’inspiration classique ramène également à la cité idéale. La place des Colonnes où se trouve le Belvédère a été dessiné par Ricardo Bofill. Je ne sais en revanche si les villes pensées par Alberti ou Serlio étaient automnes ou intégrées à un réseau urbain, mais Cergy, nous l’avons dit, sans être tout à fait une ville dortoir, dépend du pôle parisien qu’elle est censée alléger (en habitants et en concentration d’activités…).

Cependant, Rohmer ne fait pas non plus de Cergy une nouvelle Utopia. La grande esplanade du Belvédère traversée par Blanche, quand celle-ci rentre chez elle, paraît bien déserte. Les vues depuis son appartement sur des paysages vides (la place d’un côté) ou lointains (Paris et la Défense de l’autre), ainsi que la discussion entre Blanche et Léa (où pour la première fois elles parlent de leurs déceptions amoureuses et de leurs désaccords) laissent une impression d’insatisfaction. Les dialogues n’apportent pas vraiment de critique de la ville. Les amies s’interrogent brièvement sur le sentiment d’isolation qui naît à habiter seul au sein d’un quartier à peine occupé. Ce sont surtout les images du réalisateur qui donnent à voir la tristesse des lieux et la froideur des formes architecturales2. Pas d’espace vert ici, l’herbe n’a pas encore poussé. Éric Rohmer questionne bien l’échelle humaine de ces quartiers, mais il reste encore difficile de dire si le cinéaste est absolument convaincu par la ville nouvelle ou simplement fasciné par une architecture, certes impressionnante et fonctionnelle, mais au demeurant imparfaite.

Certaines scènes du film ont lieu dans des espaces plus verdoyants, en lien avec la relation qu’entretienne les personnages.

Pour avancer sur ce point, il nous faut poursuivre la description topographique que donne le film. En suivant le couple formé par Blanche et Fabien, il nous semble d’ailleurs déceler un parti pris. En effet, ces jeunes gens tombent amoureux à la périphérie de la ville. Tout d’abord, devenus amis, ils se retrouvent pour faire de la planche à voile sur les étangs de Neuville (le centre nautique date de 1980 mais depuis 2015 la commune a renommé la base de plein air, l’«Île de loisir de Cergy-Pontoise »). Plus Blanche et Fabien se rapprochent, moins les espaces qu’ils fréquentent sont bâtis et bétonnés. La promenade sur les bords de l’Oise est l’occasion de pointer un index sur les espaces identifiés autour de la rivière :

« C’est l’Oise, là-bas, qui se confond avec les arbres. Comme ça, elle tourne dans la petite cuvette, elle passe au pied de là où tu habites.

– Oui, on voit la tour du Belvédère.

– Elle continue, fait le tour en boucle devant Cergy-Préfecture, jusqu’au pied de la tour EDF. »

Cela rappelle Gaspard, dans Conte d’été (1996), qui fait le même geste et décrit le littoral de Dinard avec Margot. Dans L’Ami de mon amie, sur le chemin de hallage, Blanche et Fabien gagnent en intimité. Ils s’embrassent pour la première fois au parc, près des bois, où tout est vert. Le couple se forme ainsi en fréquentant des espaces moins gris et moins centraux. Sur les bords du lac ou près de l’Oise, on pense facilement aux bourgeois et aux ouvriers qui profitent du soleil en bord de Seine sur les toiles impressionnistes de Seurat ou de Renoir. La référence est sous-entendue dans un échange :

« En fait, c’est plutôt un voyage dans le temps que j’ai l’impression de faire. Tu sais, quand les ouvriers allaient pique-niquer au bord de la Seine ou de la Marne. Je pensais que ça n’existait plus.

– Pour la plupart ici, c’est pas des gens de Cergy. Ils viennent des banlieues moches, entassés les uns sur les autres, dans des HLM complètement délabrés. Pour eux ici, c’est un peu comme s’ils allaient au Palais de Versailles. Odeur pour odeur, j’aime mieux celle des merguez que celle de l’essence le dimanche après-midi dans un bouchon… »

Une opposition ville/nature se forme dans le film.

Rohmer associe Blanche et Fabien aux verts paysages alentours, plus « naturels » (malgré toute la fausseté du terme), ce qui pourrait correspondre aussi au tempérament des personnages, à la fois hésitants et tout aussi capables de spontanéité, à l’écoute de leur cœur sans être calculateur, peut-être plus verts en amour que l’autre couple du film. Léa et Alexandre, dont les cœurs ne se trouvent pas non plus de suite, sont plus aguerris dans ce domaine, davantage sûrs d’eux-mêmes en tout cas. À l’opposé de Blanche et Fabien, de leurs atermoiements et de leurs troubles sentimentaux, Léa et Alexandre sont plus « classiques », un peu « vieux jeu » comme le reconnaît Léa (« J’aime qu’on me prenne en charge. […] Quelqu’un de plus vieux me conviendrait mieux. »). Toutefois, ni Léa ni Alexandre n’hésitent quand l’occasion se présente. De plus, le couple se fixe des règles (le « pas avant six mois » notamment) et s’accorde en définitive assez bien à la régularité des lignes du décors urbain. Ils se donnent rendez-vous et se retrouvent au centre (quartier de la gare ou de la préfecture), emplacement qui convient aussi très bien à leur façon d’être, pas toujours discrète. Blanche et Fabien, eux, se trouvent par hasard. Il est l’ami de son amie qu’elle a rencontrée encore une fois par hasard dans un restaurant d’administration. Les occasions en entraînant de nouvelles, les voilà en train de s’embrasser dans l’herbe.

La nature des différents relations amoureuses du film trouve un écho dans les paysages qui entourent les personnages.

Le réalisateur des Métamorphoses du paysage (1964) semblait croire au confort des villes nouvelles, à leur développement et à leur réussite. Pourtant du double panorama qu’il donne, à la fois urbain et amoureux, dans L’ami de mon amie, il ressort une plus grande sympathie pour le couple des rives et donc, si l’on force un peu la prise de position, pour les marges les plus simples de la cité. Dans les herbes plutôt que sur les dalles ? Blanche et Fabien finissent par s’habiller de pulls et de tee-shirt verts après s’être embrassés en jaune et bleu (le jeu sur les couleurs dans le film, assez amusant, ne se limite pas à ces allusions). On pourra toujours arguer que les étangs et les sentiers sont des aménagements comme les autres et qu’ils ont été façonnés en même temps que les autres quartiers de Cergy, il n’en reste pas moins cette impression que Rohmer, après avoir beaucoup arpenté le sol en dur de la ville nouvelle, réserve au couple phare de son film un espace où la part de nature y est plus importante et possiblement avec elle la part du hasard.

Article écrit par Benjamin Fauré, mise en ligne par Léa Glacet

Notes:

  1. Éric Rohmer dans un entretien donné à Libération, 2002 (cité sur ce site personnel consacré au film :  http://lamidemonamie.free.fr/index.html)
  2. En 2013, à propos des villes nouvelles, l’historien Loïc Vadelorge parle d’architecture technocratique, de manque d’âme et de quartiers trop vite dégradé pour lesquels il a fallu, à Cergy-Pontoise et ailleurs, mettre en œuvre des chantiers de rénovation. Voir M.-D. Albert, « Les villes nouvelles ont-elles bien vieilli ? », dans L’Atlas des villes, Le Monde hors-série, p. 140-141. Voir aussi Loïc Vadelorge, Retour sur les villes nouvelles, une histoire urbaine du XXe siècle, Créaphis, 2013.

Petit exercice de géographie prospective: la France de 2020 selon une lycéenne de la région.

Nous sommes aujourd’hui plus proches de 2050 que de 1990. Comment imaginer, conceptualiser, un futur si proche ? Comment les jeunes d’aujourd’hui, les citoyens de 2050, imaginent cette France de demain ?

Clarisse Sanz, lycéenne au lycée Xavier Bichat à Nantua, s’est essayée à cet exercice de géographie prospective et a tenté de réaliser des cartes thématiques de la France de 2050, à travers des domaines majeurs comme l’industrie, le climat, l’agriculture, la population.

« J’ai choisi les thèmes, et mon professeur d’histoire-géographie m’a aidé à les réaliser » explique-t-elle lorsqu’on l’interroge sur l’élaboration de ses cartes. « L’année dernière, le thème de la gazette du lycée était le futur. J’ai alors voulu réaliser des cartes en couleur, et j’ai approfondi le travail après« . La géographie prospective est en effet un très bon exercice pour inciter les élèves ou étudiants à s’approprier les savoirs géographies et de manier différents concepts.

« J’ai utilisé plusieurs sources pour les faire, ainsi que mes connaissances personnelles (…) J’ai mis trois semaines à les faire« . Le langage cartographique, avec ses spécificités, permet résumer efficacement un grand nombre d’informations, dans une logique d’approche globale. Il permet de synthétiser une pensée, une vision de ce futur si proche.

L’enseignement du langage cartographique aux plus jeunes permet non seulement une meilleure compréhension du monde, mais aussi que chaque citoyen puisse développer et résumer efficace sa pensée. Quand celui-ci est utilisé dans un but prospectif, il revêt une véritable dimension politique, puisque chacun peut s’exprimer sur sa vision du pays dans le futur. Lorsqu’on lui demande quelle place pourrait avoir la géographie dans son parcours futur, Clarisse répond « Peut-être professeur d’histoire-géographie« . Un beau projet, avec l’assurance que les élèves de 2050 seront rompus à l’exercice de la cartographie !

Voici le travail cartographique réalisé:

Carte n°1: La population par département

L’épidémie de Covid 19 et le confinement ont questionné beaucoup de géographes sur les dynamiques de peuplement en France. De nombreux Français ont préféré quitter leur lieu de résidence en ville pour un mode de vie rural. Ainsi pourra-t-on encore parler de « diagonale du vide » en 2050 en France ? Cette carte semble remettre cette représentation commune en question. Une lecture plus fine, département par département, amène à une vision plus nuancée des choses. Si certains départements de cette diagonale perdent toujours des habitants, d’autres, par un phénomène de périurbanisation, connaissent un accroissement. Les littoraux ainsi que les grandes villes restent toujours attractifs pour les populations.

Source: Ifé-Lyon

Carte n°2: Les différents climats en France en 2050

L’enjeu majeur autour de ce thème est bien évidemment le changement climatique. Conformément aux prévisions du GIEC, la zone méditerranéenne, avec ses fortes pressions anthropologiques, va connaitre une aridification. Certains territoires autour du Golfe du Lion pourraient ainsi être soumis un climat aride. Le climat méditerranéen va gagner du terrain jusqu’à atteindre la région lyonnaise. D’autres zones particulièrement sensibles au réchauffement climatique, comme les massifs montagneux, pourraient connaitre des changements et voir leur climat montagnard modifié ou disparaître.

Source: Météo-France

Carte n°3: L’agriculture en France en 2050

Le réchauffement climatique n’a pas seulement un impact sur les climats, mais aussi sur l’agriculture. Sur cette carte, le vignoble s’est étendu bien au delà des régions viticoles traditionnelles, au détriment de la céréaliculture. Certains domaines, comme la Champagne, déplacent leur production plus au Nord, comme en Angleterre. On a donc une extension et une recomposition du vignoble français. En parallèle de ce réchauffement climatique qui ne peut plus être ignoré, la tendance de l’agrotourisme et de l’agriculture biologique s’intensifient encore davantage.

Source: données gouvernementales, manuel de Géographie niveau 1ere 2019

Carte n°4: Les espaces industriels en France en 2050

Les récentes dynamiques économiques laissent présager une recomposition du tissu industriel français, avec le déclin de certains pôles de compétitivité et régions industrielles. La tertiarisation de l’économie et la métropolisation croissante accroissent le poids des grandes et moyennes villes.

Source: manuel de Géographie niveau 1er 2019

Compte-rendu du dernier café géo de Lyon: « Villes et capitalisme » avec Emeline Comby et Matthieu Adam.

Matthieu Adam est chargé de recherche au CNRS, membre de l’UMR 5600 Environnement Ville Société (EVS). Émeline Comby est maîtresse de conférences en géographie à l’Université Lumière Lyon 2 et à l’UMR 5600 EVS. Elle explique que leurs trajectoires se sont croisées sur la question du capitalisme et en particulier du quartier Confluence à Lyon. A partir de cet intérêt commun, est né ce projet d’ouvrage confié à trente-quatre auteurs et autrices.

Matthieu Adam : Il faut commencer par définir le capitalisme. De façon synthétique, on peut dire qu’il s’agit d’un système idéologique, économique et politique qui repose sur les trois critères suivants :

  • la propriété privée des moyens de production (matérielle et immatérielle) et de reproduction (de la force de travail, ce qui inclut le logement, les infrastructures…) ;
  • la possibilité de l’accumulation par la remise en circulation permanente des capitaux ;
  • une organisation du travail qui s’appuie essentiellement sur le salariat.

Pourquoi parler de « capitalisme urbain » ? On peut d’abord dire, un peu à la manière d’Henri Lefebvre, que la ville est la projection au sol des rapports sociaux capitalistes. Mais la ville en elle-même n’est pas un objet proprement capitaliste : il y a eu des villes avant le capitalisme. Cependant, pour comprendre la ville actuelle, il faut saisir les entrelacements entre urbanisation et capitalisme. On peut d’abord parler de deux moments historiques. D’abord au XIIe siècle, avec le développement de l’artisanat et du commerce et l’apparition des banques, ce qui conduit à l’essor d’une nouvelle classe sociale, ni aristocratie, ni tiers-état : la bourgeoise. Mais au XIIe siècle, à ce premier stade d’urbanisation en Europe, on n’est pas encore dans le capitalisme, plutôt dans un proto-capitalisme. Le deuxième moment historique, c’est l’industrialisation, à partir de la fin du XVIIIe siècle en Europe. La concentration d’individus autour des unités de production est rendue possible par le charbon. Avant, l’énergie était hydraulique et éolienne : il fallait s’installer le long des cours d’eau. Le charbon, lui, peut être apporté à l’usine et l’usine peut s’installer près des réservoirs de main d’œuvre : on assiste alors à une explosion de l’urbanisation. On passe de 3% de population urbaine en 1850 à plus de 50 % de population urbaine depuis 2007.

Notre définition du capitalisme urbain est fondée sur celle de l’urbanisation capitaliste comme concentration du capital fixe. Contrairement au capital mobile (salaires, monnaie, montants destinés aux matière première), le capital fixe est immobile (d’où le mot immobilier). Il comprend les moyens de production (l’usine, les bureaux…), et les moyens de reproduction (le logement…).

À partir de cela, nous considérons que le capitalisme englobe quatre processus, autant d’éléments que nous aborderons dans ce café géographique :

  • D’abord les mécanismes d’urbanisation du capital. Comment se passe la concentration du capital fixe ? Comment sélectionne-t-elle les espaces sur lesquels elle s’exerce ? Quel rôle jouent les villes dans la circulation et l’accumulation des capitaux ?
  • Ensuite, les modes de production de l’espace induits par ces mécanismes de sélectivité spatiale, depuis l’urbanisation industrielle jusqu’à ce qu’on appelle l’urbanisation néolibérale, avec ses décideurs accrocs à l’attractivité.
  • Puis, à travers ces modes de production, des espaces sont produits et nous nous intéressons à leurs spécificités matérielles et symboliques.
  • Enfin, ces espaces matériels et les modes de production qui les ont engendrés ont des conséquences sur les pratiques urbaines et sur les rapports socio-spatiaux plus ou moins inégalitaires qui peuvent en découler.

Ces quatre processus, nous amènent à parler de capitalisme urbain au singulier, qui fonctionne comme un tout, mais qui fonctionne en même temps de façon très différente selon les époques et les espaces où il s’installe. Cela a des conséquences sur la forme de notre ouvrage, qui se compose de 30 chapitres, un par notion, avec à chaque fois une ou deux villes choisies en exemple principal afin de montrer une diversité des situations.

Émeline Comby : Pour montrer l’importance des contextes, beaucoup de photographies illustrent l’ouvrage, montrant une vie matérielle, une vie ordinaire, puisque le capitalisme se voit dans les paysages. Autre élément, ce capitalisme urbain produit des formes urbaines. À la suite des travaux de David Harvey, nous proposons de présenter trois types de villes ce soir.

Le premier type c’est la ville industrielle. Du fait des progrès agricoles et industriels, le capital s’urbanise. La première forme que ça prend, c’est le logement-atelier. À Lyon, c’est le logement des canuts [les ouvriers de la soierie qui travaillaient à domicile et à façon], un logement où l’ouvrier et l’ouvrière travaillaient. Aujourd’hui, certains de ces logements dans des quartiers comme la Croix Rousse se vendent à des prix très élevés, du fait de leur cachet, de leur hauteur sous plafond liée à la présence historique d’un métier à tisser. De cette forme première découle l’atelier et la manufacture. Émerge alors la ville-usine : autour de l’usine se construisent des vies et une ville. La ville se construit alors autour des acteurs de la production, autour de ceux qui possèdent le capital, donc l’usine. C’est dans ce contexte que se développe le paternalisme industriel avec ses logements, son commerce, son école, son église… Donc perdre son emploi c’est risquer de perdre toute sa vie, tous ses repères. Ce paternalisme a pu être loué comme une façon de fidéliser la main d’œuvre, à une époque où ouvriers et ouvrières circulaient et où il fallait les fixer. L’arrière-plan de la ville-usine, le paysage alentour, ce sont les terrils, les crassiers… C’est aussi à ce moment-là qu’apparaissent les jardins ouvriers, en France l’un des exemples les plus précoces est à Saint-Étienne. C’est à la fois une source d’agriculture nourricière de complément mais aussi un moyen de s’assurer que l’ouvrier aura des loisirs « sains » : on voit bien comment existe un contrôle fort y compris dans les temps de loisirs. À partir de là émergent des petites villes ou des villes moyennes, y compris ex nihilo (Le Creusot), ou des agglomérations plus grandes comme dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. Pourquoi parler de cette époque ? Parce que c’est à cette époque que se créent de grandes fortunes, à l’image de la famille Mulliez (Phildar, Auchan…) qui vont ensuite faire circuler leurs capitaux, les reconvertir vers d’autres spécialités productives et vers l’immobilier.

La deuxième forme urbaine, c’est la ville keynésienne, en référence à John Maynard Keynes, dans ce qu’on a pu appeler en France les « Trente Glorieuses ». La politique dominante alors est celle du soutien à la consommation, où l’on voit apparaître de nouvelles manières de fixer le capital à travers le logement social et la politique des grands ensembles ; ou à travers l’aide à la construction, encore très présente aujourd’hui, aboutissant à l’essor de la maison individuelle. L’État joue un rôle majeur : c’est lui qui finance les grandes infrastructures et les services. C’est le début de la ville des services. Simultanément on observe une accession plus large à la propriété individuelle, ce qui débouche sur la question de l’endettement des ménages et leur solvabilité. Ce type est ville est parfois appelé fordiste en référence à Ford et à Détroit, ville construite autour de l’automobile. Ce modèle reste encore valable dans les pays émergents, notamment en Chine : on pense par exemple à Shenzhen. Ainsi, le chapitre « périurbanisation » s’appuie sur l’exemple de la commune de Cleyzieu-Lamarieu, une vraie commune dont le nom a été anonymisé, où les ménages qui achètent sont de plus en plus souvent issus de l’immigration extra-européenne et appartiennent à des minorités racisées, historiquement peu présentes dans l’espace local. Ces achats s’expliquent par l’attrait de la maison individuelle, mais aussi par les difficultés pour accéder au logement social ou pour fuir les stigmates liés au fait de résider dans les grands ensembles. À la ville keynésienne est associée la standardisation : les centres-villes qui se ressemblent tous mais aussi la « maison phénix » et avec bien sûr l’automobile et ses parkings, c’est-à-dire le monde du pétrole.

Troisième type, la ville néolibérale : dans les années 1970 avec la « stagflation » et la hausse du chômage, l’endettement devient insupportable pour certains ménages ; pour d’autres, il y a une difficulté croissante à accéder à l’emprunt, une difficulté qui touche surtout les plus pauvres. On remarque aussi que la privatisation et la marchandisation touchent tous les secteurs, y compris ceux  qui jusqu’alors leur échappaient. C’est pourquoi le livre contient par exemple un chapitre sur l’éducation : l’école devient un bien marchand, l’école privée comme l’école publique d’ailleurs (la cantine qui fait l’objet de partenariats public-privé, les politiques d’établissements mis en concurrence pour attirer des publics, etc.). Cette ville néolibérale repose sur une marchandisation au nom de la liberté individuelle et de l’efficacité économique. C’est aussi une politique d’urbanisation de l’offre, avec des constructions de logements, des projets de « régénération » urbaine, appuyée sur de grands événements (Jeux olympiques et autres grandes compétitions sportives, grands rendez-vous culturels). Parfois, c’est l’art urbain, au départ subversif, qui est mis au service du capital. Ainsi, les œuvres de Banksy, bien que parfois contestataires, sont valorisées par les pouvoirs publics, comme à Paris en 2018. Le discours dominant est celui de la compétition entre villes pour attirer surtout des investisseurs privés. À travers le marketing urbain dont l’exemple local, OnlyLyon, est exemplaire, vante une « montée en gamme » impliquant des projets de « reconquête urbaine » pour attirer les catégories désirables, par exemple la reconquête des fronts fluviaux (Paris, Lyon, Bordeaux…), des nouveaux immeubles une verticalisation de la hauteur pour les attirer, et avec un effacement du passé industriel. Pour ne plus parler des ouvriers et des ouvrières, on rase des (anciens) quartiers industriels. Par exemple à Lille, la ZAC de l’Union, doit permettre la construction de 1300 logements et accueillir 4 000 emplois. On garde éventuellement une cheminée d’usine pour le décor. Simultanément on observe une dégradation des conditions de vie des classes populaires, une dégradation de l’habitat social et une baisse des services publics.

Matthieu Adam : Une façon de résumer le passage du deuxième type au troisième type serait de dire qu’on est passé d’une urbanisation de la demande à une urbanisation de l’offre. Dans la ville keynésienne, les personnes élues pensaient leur politique pour répondre aux demandes ou aux besoins de la population, d’où les investissements dans les infrastructures. Aujourd’hui la politique de l’offre est faite pour attirer, avec la mise au premier plan de tout le vocabulaire de l’attractivité. On veut attirer : les investisseurs (fonds de pension, fonds d’investissement d’institutions bancaires ou d’entreprises industrielles), des chefs d’entreprise, des cadres, et des populations étudiantes vues comme les cadres de demain, à travers notamment les universités et les grandes écoles, et enfin des touristes, notamment en France où le tourisme a un poids économique très important.

Nous avons planté le décor en donnant une vision très générale pour ouvrir le débat dans la séance de questions. Une autre façon de le faire serait de donner quatre entrées principales par lesquelles entrer dans le livre : 

  • Par les processus : financiarisation, désindustrialisation, rente foncière, circulation des capitaux…
  • Par les objets : espace public sonore, fronts d’eau, quartiers périurbains, smart city
  • Par les rapports sociaux : attirer les populations désirées, évincer les populations indésirables. On observe un nettoyage, parfois très visible avec l’ordre policier dans les quartiers relégués, un ordre classiste, raciste. Et parfois très indirect : les pauvres partent parce que de toute façon les loyers sont trop chers, ou alors on fait des politiques « écologistes » tournées vers les cadres, avec les meilleures intentions du monde. Par exemple quand on mesure la quantité de déchets quotidienne autorisée pour réduire le volume de déchets total, on va calibrer cette quantité sur un couple de cadres avec double emploi, sans prendre en compte le fait que les personnes qui ne travaillent pas consomment nécessairement plus à la maison.
  • Par l’environnement et le numérique. On serait en train de passer de l’économie du pétrole à l’économie de la donnée, nécessairement plus vertueuse. Or les approches critiques sont en train d’émerger sur cette question et certains chapitres s’en font l’écho.

Par ailleurs, nous avons essayé de faire, autant que possible, malgré le sujet très lourd et pas forcément positif, que chaque chapitre se termine sur des alternatives : le capitalisme urbain n’est pas un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Certaines alternatives sont très institutionnelles, parce que c’est nécessaire de passer par les moyens institutionnels (face à AirBnb par exemple), et d’autres reposent sur l’illégalité (l’occupation notamment). Et puis il y a les fois où le capitalisme échoue tout seul, ou ça ne marche pas. Un exemple qui n’est pas dans le livre : la place Mazagran à Lyon, rénovée sous l’ère Collomb avec une volonté d’évincer les populations indésirables, de produire une ville lisse, apaisée. En fait il y a encore du deal, de la consommation de drogues, des activités non voulues par les gouvernements urbains dans l’espace public et en face des plaintes pour bruit… bref cette politique municipale n’a pas marché. Parmi les exemples présents dans le livre, il y a l’échec des projets de renouvellement urbain à Hambourg et à Tourcoing ou la défaite du capitalisme financiarisé autour de la gare TGV de Perpignan.

Émeline Comby : Nous voulions redonner du sens à la notion de droit à la ville. On aime autant l’un que l’autre Henri Lefebvre, mais aujourd’hui on constate dans les discours que tout est droit à la ville, y compris tout ce qui n’est pas droit à la ville.

En lien avec les indésirables qu’a évoqué Matthieu se pose la question de la justice socio-spatiale. On pense par exemple au traitement des populations migrantes et exilées à Porte de la Chapelle à Paris. Il s’agissait de donner à voir le moment où l’accès aux lieux deviendrait vraiment possible pour toutes et pour tous. La forme ne préjuge pas de l’accès aux ressources. Ainsi, les gratte-ciels sont souvent des constructions pour les plus riches, mais il y a un exemple dans l’ouvrage, en Australie, où un gratte-ciel accueille la première école publique verticale à Melbourne depuis 2018, destinée à accueillir 450 enfants. Cela existe le droit à la ville, dans la réalité, hors des discours hypocrites qui manipulent l’idée cyniquement.

Deuxième question, aujourd’hui on est dans un régime de propriété, on s’en rend bien compte quand on paie son loyer, et donc c’est la question de comment passer de la propriété à l’appropriation. Comment on s’approprie les espaces vacants, avec notamment l’exemple des squats : comment, à partir des squats, on peut imaginer d’autres façon de faire la ville ?

Troisième entrée : Lefebvre dit qu’il les habitants et les habitantes s’approprient la production de la ville, que le droit à la ville c’est quand les gens agissent, et notre idée c’était de dire que pour agir il faut que les gens comprennent ce qu’il se passe. Ce que nous disons c’est que le droit à la ville a été instrumentalisé. On voulait donner des idées pour que chacun et chacune à son échelle contribue à passer de la ville comme moyen d’accumulation à une ville qui passerait à un « vrai » droit à la ville.

Il est important de dire que ce livre n’est pas « urbaphobe », l’idée n’est pas que la solution passe par un retour à la campagne, mais que les solutions sont en ville pour les personnes vivant en ville, contre les clichés sur la campagne comme cadre de vie idéalisé. Les questions abordées en ville se retrouvent dans la campagne : pollution, cancers environnementaux, nuisances, pauvreté… Notre discours n’est pas d’idéaliser la campagne, ni de dire qu’il faut fuir la ville, mais de dire qu’il faut trouver en ville des solutions.

Matthieu Adam : Derrière l’urbaphobie, très en vogue avec des discours sur « l’exode urbain », il y a aussi l’idée réactionnaire que les humains sont naturellement bons et que la ville les pervertit, et qu’alors la seule solution serait la fuite. Mon propos n’est pas de discréditer l’envie de vivre hors la ville, mais bien de questionner l’idée de réappropriation des moyens de production dans l’urbain.

La salle applaudit chaleureusement les deux orateur et oratrice et les questions commencent.

Question : on vous sent engagés, quel sont vos engagements de chercheur et chercheuse ?

Émeline Comby : les auteurs et autrices ont des niveaux d’engagement très différents, certains très radicaux, d’autres plus modérés. Disons qu’ils recouvrent tout le prisme de l’engagement à gauche. À titre personnel je me sens culturellement influencée par la géographie radicale.

Matthieu Adam : C’est un ouvrage « œcuménique », dans le sens où on n’a pas regardé les parcours des auteurs et des autrices, mais ce n’est pas un ouvrage sur appel à contribution, on a été chercher les personnes, pour leur expertise sur les sujets choisis et parce qu’on appréciait leur façon de les traiter. D’une part, on a surtout pris des gens dominés dans le champ universitaire. D’autre part, on peut se satisfaire de la ville telle qu’elle est aujourd’hui, beaucoup de gens le sont. Nous, nous avons a fait le choix de chercher des auteurs et autrices qui ne sont pas satisfaits des inégalités existantes. Nous n’avons pas peur de dire que la géographie marxiste s’est renouvelée au cours des trente dernières années et qu’elle peut servir à penser les sociétés urbaines contemporaines. Donc en ce sens l’ouvrage est engagé. Mais il ne faut pas pour autant croire qu’un ouvrage puisse enclencher une dynamique révolutionnaire, comme dans une approche mythifiée qui laisseraient croire que les ouvrages de Henri Lefebvre ou de Guy Debord auraient déclenché mai 1968.

Une autre idée importante, c’est qu’il n’y a pas que la métropolisation et la gentrification pour penser la ville : il y a plein de processus en cours et l’idée de l’ouvrage est de montrer toute cette diversité de processus, beaucoup plus que la métropolisation et la gentrification qui retiennent à elles seules toute l’attention.

Émeline Comby : Quand Matthieu dit qu’on a fait écrire des personnes dominées, plus explicitement, on a fait écrire des femmes, avec dix-huit autrices, plus de la moitié, et des personnes qui sont majoritairement des précaires dans l’université.

Question : Je fréquente des cercles qui ont lu Henri Lefebvre mais qui tombent dans l’utopie spiritualiste, qui idéalisent par exemple Auroville en Inde, ce type d’enclaves qui en fait au nom de l’œcuménisme excluent les musulmans, qui comptent peu d’Indiens sauf des hautes castes. Ces enclaves sont en fait un entre-soi. Comment puis-je les convaincre de gratter sous l’utopie pour retrouver une forme d’esprit critique ?

Matthieu Adam : Il y a une tendance des personnes qui s’auto-organisent à rester entre gens qui se ressemblent. Ce n’est ni étonnant ni nouveau, et c’est assez inévitable, mais il y a la question de savoir si on peut s’en satisfaire. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’utopies qui se sont construites là-dessus, pas seulement Auroville mais aussi la Silicon Valley, avec des gens qui se sont (au départ !) opposés au monde tel qu’il existe, dans une forme de quête d’autre chose.

Je pense malgré tout qu’il y a des choses que l’on peut faire, que des gens qui sont diplômés peuvent aller à la rencontre de personnes qui ont des problèmes de loyer pour voir avec elles ce qu’on peut faire. Flamina Paddeu a écrit un chapitre dans l’ouvrage et elle vient tout juste de publier un livre sur le sujet (Sous les pavés, la terre, Le Seuil). Elle travaille sur l’agriculture urbaine et montre qu’il y a des projets qui sont complètement insérés dans la logique de la ville néolibérale, mais aussi des projets qui permettent vraiment à des personnes très différentes de se rencontrer et de lutter contre le capitalisme urbain. Autre exemple, à Besançon, avec les jardins des Vaites que de l’extérieur on peut dire « en autogestion », mais où ce mot n’est jamais prononcé, et qui est porté par des personnes de classes populaires. C’est ce type de lieux qui permet aussi des rencontres.

Émeline Comby : Il est vrai que la dimension spirituelle de la ville est assez absente de notre livre alors qu’on pourrait l’attendre. Ensuite ça a beaucoup existé les utopies urbaines, on a plein d’exemples, mais en fait on n’obtient souvent rien de plus en créant une ville ex-nihilo

Question : Quels sont les acteurs du capitalisme ? Qui sont-ils ? Pour sortir du capitalisme comme un grand tout, parce que dès qu’on travaille sur l’urbain on se perd dans les acteurs.

Émeline Comby : Il y a d’abord des grands acteurs privés (Bouygues, Vinci) qui contribuent à uniformiser la ville. S’y ajoutent certains acteurs pour lesquels règne un grand flou entre le public et privé. Avec des sociétés publiques d’aménagement par exemple, dont on se demande si c’est du public ou privé. On peut citer l’exemple de Besançon et des Vaites où l’agence Territoire 25 est une SPL qui assure sous l’autorité de la ville l’aménagement et le développement du futur écoquartier en lieu et place des jardins. Une société publique locale (SPL en plus court) est une structure juridique à la disposition des collectivités locales pour favoriser l’aménagement et le développement. Il y en a autant que de villes voire autant que de projets urbains, mais elles servent en fait les intérêts privés. Et cette multiplication donne une nébuleuse qui explique pourquoi on a du mal à les identifier comme acteurs. ll faut ajouter les lobbies du BTP, dont il ne faut pas oublier la puissance, puisqu’en France construire ce sont des emplois. Donc trois premiers types d’acteurs avec la question de savoir qui sert qui et quand…

Et puis les populations habitantes qui n’arrivent pas toujours à identifier ces premiers acteurs, ceux qui sont souvent oubliés ou non écoutés (sauf sur les panneaux, « une ville pour tous », « mixité sociale ») et qui sont souvent face à des documents très juridiques, très compliqués… Donc la question c’est comment créer les alliances pour aider ces personnes, par exemple comment on construit une plainte au tribunal administratif : comment se mettre en relation rapidement pour faire circuler les savoirs aussi vite que les capitaux.

Matthieu Adam : La question des acteurs c’est : « comment une décision a été prise ? ». Et même comme chercheur ce n’est pas toujours facile de remonter le fil. Je me suis demandé pourquoi il y avait des grilles partout à Confluence. Les promoteurs disent : « c’est une demande des élus ». Les élus disent : « c’est une demande de la population ». La population dit « c’était là quand on est arrivé ». Les architectes disent qu’ils ont au moins essayé qu’elles soient jolies. Personne n’est responsable. La multiplication des micro-barrières semble être là, « dans l’air du temps », alors qu’évidemment il y a une chaîne de commandement. Par contre, c’est difficile de saisir pourquoi telle ou telle typologie d’aménagements devient systématique à un moment donné.

Ça pose la question de la privation de la démocratie. À Lyon par exemple, l’acteur politique fondamental en matière d’aménagement, c’est la Métropole. Mais les populations habitantes ne savent pas quels sont ses pouvoirs, ses compétences, encore moins qui prend les décisions ni même où se déroule le conseil métropolitain. Et le fait que celui-ci soit élu au suffrage universel n’y change pas grand-chose. C’est juste le résultat d’un bricolage entre Collomb et Mercier [Gérard Collomb, baron local socialiste de 2001 à 2020 et Michel Mercier, sénateur de droite et président du département du Rhône dont le fief électoral était constitué les parties rurales du département]. Il y a une forte opacité, même pour le chercheur, à l’échelle de la Métropole de Lyon, pour comprendre comment les débats se déroulent.

S’y ajoutent beaucoup d’acteurs importants mais difficiles à identifier. Je pense aux fonds d’investissement tels que BlackStone. Ils achètent par dizaines de milliers des logements sociaux dans des endroits où le logement social est bien géré par le privé qu’en France : en Suède, au Royaume-Uni… Et aujourd’hui on ne comprend plus ce qui se passe en ville si on ne s’intéresse pas aux firmes du numériques, notamment les GAFAM. Les données sont devenues un véritable gisement de richesse et leur exploitation transforme le capitalisme urbain. A travers Waze ou Maps, Google a par exemple une influence très forte sur les pratiques mais aussi sur les politiques de mobilité urbaine. Avec sa filiale Sidewalks, elle voit désormais l’urbanisme comme un marché, tout en exploitant les données des systèmes d’open data des collectivités. Dans le même esprit, on voit l’influence croissante des entreprises qui développent et exploitent les technologies de surveillance, en particulier la reconnaissance faciale. Les firmes « traditionnelles » du capitalisme urbain ne sont pas en reste : les opérateurs de réseaux d’énergie et de transport, tout comme les nouveaux acteurs de la mobilité urbaine (Uber, Lime, Dott, etc.) mais aussi les assureurs ou les agents immobiliers, s’appuient sur la data à la fois pour optimiser leurs stratégies et pour exploiter de nouvelles ressources.

Et même les élus qui se saisissent de ces questions sont complètement perdus. Par exemple, on commence à avoir des leviers (contrôle des loyers, contrôle d’AirBnB) qui certes sont beaucoup de pansements sur la même jambe de bois, mais qui montrent que les politiques publiques s’emparent de ces sujets. Or le plafonnement des loyers par exemple c’est une politique d’État : c’est l’État qui décide si on peut l’appliquer à la demande de la municipalité : Éric Piolle, le maire de Grenoble, l’avait mis dans son programme et finalement ça ne dépend pas de lui. Ensuite la collectivité n’a pas vraiment de moyens de contrôle sur le plafonnement des loyers : c’est l’État qui peut contrôler, or il ne met pas de moyens pour le faire.

Question : Y a-t-il des formes urbaines qui ont mieux résisté au capitalisme ? Et autre question : on a bien compris que vous n’étiez pas ruralophiles, mais comment réinterroger cette proximité entre capitalisme et l’urbain et du coup entre d’autres formes politiques et les ruralités, notamment sur la capacité à comprendre plus facilement un PLU dans une petite commune et ensuite à influer dessus ?

Émeline Comby : On n’a rien contre le rural, au contraire, d’ailleurs il suffit de voir une forêt plantée pour voir comment le rural aussi c’est du capital. C’est pour ça que nous avons travaillé sur le capitalisme urbain et non le capitalisme en ville : beaucoup de paysages ruraux ont été façonnés par le capitalisme urbain, il suffit de penser aux vignobles près des villes, comme à Montpellier. Le problème des discours urbaphobes, c’est d’opposer la campagne à la ville en disant que la ville c’est le mal, alors que les mêmes questions se posent partout. Le livre le montre avec par exemple le chapitre sur la privatisation de la nature, un problème qu’on retrouve dans les espaces ruraux. La question des PLU est intéressante : aujourd’hui c’est de plus en plus des PLUi, avec le i pour intercommunaux, avec une technicité croissante et une affirmation de la continuité entre les villes et les campagnes dans les documents de planification.

Matthieu Adam : Certes on peut croiser plus facilement les élus à la campagne, mais les élus ont de moins en moins de pouvoir. On a un déficit d’ingénierie publique. De nombreuses petites communes se retrouvent à faire appel à des bureaux d’études qui photocopient les PLU, en changeant essentiellement le nom de la ville ou du village et les cartes, contre quelques dizaines de milliers d’euros.

On retrouve également des acteurs aussi puissants et insaisissables qu’en ville : typiquement la SAFER depuis la seconde Guerre mondiale, aux mains de la FNSEA [le syndicat agricole majoritaire, de tendance conservatrice]. C’est vrai qu’en face on a aussi d’autres acteurs qui peuvent peser, comme la Confédération paysanne, qui est assez forte nationalement pour peser face à la SAFER et la FNSEA. De même quand on voit le poids de Limagrain ou de Lactalis, même si tu connais bien ton maire, il est difficile de faire le poids par rapport ces géants industriels du monde rural.

Sur la question de formes urbaines qui résisteraient mieux au capitalisme, je n’y crois guère. D’abord parce qu’on risque le spatialisme : une forme de déterminisme qui dirait que parce que c’est disposé comme ça, ça résiste. Il est vrai que localement on observe des choses : pourquoi y a-t-il des appartements qui résistent à la gentrification sur les pentes de la Croix Rousse ? Certains d’entre eux sont trop sombres, trop humides ou n’auront jamais d’ascenseur, autant de problèmes pour être gentrifiés. Et donc il faut descendre à une échelle très fine, celle de l’immeuble voire celle de l’appartement, pour trouver des exemples de résistance à la gentrification.

On trouve dans d’autres pays des acteurs, plutôt que des formes urbaines, qui sont capables de résister au capitalisme, par exemple en Allemagne ou en Uruguay, d’énormes coopératives qui possèdent des centaines ou des milliers logements et qui ont les moyens de s’opposer à la privatisation.

Question. Souvent quand on essaie de réduire la place de la voiture, les communes ne prévoient pas davantage de transports en commun. Comment faire pour anticiper ?

Émeline Comby : Dans le cas du projet de reconquête des Berges du Rhône, on a observé une opposition structurée contre la politique de Collomb autour du recul de la voiture. En effet, sur les Berges du Rhône, il y avait avant un immense parking là où depuis 2007 se trouvent des espaces publics. Les personnes élues de droite refusaient ce projet autour de l’idée que la voiture et les parkings incarnaient la vie et la sécurité en ville. Le compromis a été de construire le parking souterrain de la Fosse aux Ours. On pourrait aller vite sur la voiture en disant cette opposition droite – gauche reposait sur une vision individualiste ou écologique autour de ce mode de transport. Il faut en fait être plus prudent. Il y a quand même une question sociale pour les gens qui travaillent loin, en horaires décalés, etc., en particulier dans les classes populaires. L’injonction à la transition écologique peut risquer de stigmatiser des personnes qui n’ont pas le choix et pour qui la voiture est le mode de transport qui convient le mieux à leurs contraintes. Et un risque sous-jacent de mettre encore plus en difficulté des personnes qui n’en ont vraiment pas besoin.

Question : Vous avez construit votre propos sur la constitution du capital fixe au départ et finalement au cours de votre discours on aboutit à une forme d’universalité : alors est-ce que le capital a gagné tous les espaces ou est-ce que ça veut dire le capital fixe a perdu en importance par rapport au capital mobile ? Ce qui expliquerait que la campagne, moins le lieu des capitaux fixes, soit aujourd’hui intégrée à cette question du capitalisme ? J’ai bien noté vos trois mouvements historiques : ne sommes-nous pas aujourd’hui dans un quatrième mouvement avec des formes nouvelles, qui toucherait le rural autant que l’urbain ? Et deuxième question : la ville depuis trente ans est lieu des appropriations, des expériences, aujourd’hui on a l’impression que c’est retombé, nuit debout est parti se recoucher très vite. Est-ce que maintenant le rural va connaître le même sort, l’hypertechnicité, la reprise de contrôle ? Tout espoir est-il vain ? Et qu’en est-il de la démocratie, peu présente dans l’index de votre livre ?

Émeline Comby : Tous les capitaux ne sont pas fixes : il y a des capitaux qui circulent, avec tous les projets urbains qui ne verront pas le jour, comme les projets de smart cities portés par les GAFAM et qui finalement seront financés par de l’argent public et non par ces firmes informatiques qui ont tendance à se retirer. Des entreprises investissent dans des projets, certains s’enrichissent, pas toutes. On le voit avec un autre exemple de la ville néolibérale et de ses capitaux circulants, c’est l’exemple des mobilités : les trottinettes, des vélos en libre-service, qui disparaissent comme ils sont apparus. Le capitalisme a besoin de fixer des capitaux, mais il a aussi besoin que ça circule, notamment par des levées de fonds, parce qu’il faut produire, consommer et détruire.

Matthieu Adam : Manuel Castells, sociologue espagnol qui a écrit sur la métropolisation dans les années 1990 et qui est aujourd’hui ministre de l’enseignement supérieur en Espagne, avait écrit que l’ère de l’information pourrait réduire la centralité et l’influence des grandes villes dans un monde de flux, alors que c’est l’inverse qui s’est passé : les grandes villes ont concentré davantage de capitaux. Alors certes, l’importance des grandes villes, c’est aussi beaucoup un discours satisfait des grandes villes sur elles-mêmes, mais malgré tout, les grandes villes comptent toujours. Les investisseurs les plus gros ont des algorithmes pour sélectionner les espaces où il faut investir dans l’immobilier, ils sont très sélectifs spatialement : en ce sens, on peut dire que les capitaux fixes ont perdu un peu de leur fixité, mais les biens matériels, eux, restent fixés au sol.

Ce qu’on voit dans les soulèvements populaires, c’est que ce qui est efficace dans la lutte c’est de bloquer les flux, les circulations : c’est bien cela qui a marché lors des grèves de 1995 ou ce qui a reprise avec la révolte des Gilets Jaunes. Mais cela n’oblitère pas la question du logement, qui est le premier poste de dépenses des ménages, et qui n’est jamais au centre des revendications politiques, des mouvements sociaux, des campagnes électorales. D’autant qu’on parle de choix résidentiel, c’est une très mauvaise expression, car c’est rarement un choix, en tous cas c’est bien souvent un choix contraint et limité, qui entraîne ensuite des dépendances liées au déplacement. Quand vous achetez un logement, vous n’achetez pas un kilo de sucre comme le dit Henri Lefebvre. Vous achetez les aménités qui vont avec, un quartier, une accessibilité, un environnement. Dorénavant, c’est là-dessus que nous voudrions travailler, parce que finalement la question du logement est aussi centrale que celle des flux.

Compte-rendu rédigé par Jean-Benoît Bouron et visé par les auteurs.

Le Périscope à Lyon, 19 octobre 2021.

Projection rencontre : la France à travers ses “panneaux marrons” autoroutiers, et le regard du réalisateur géophile Seb Coupy

Le vendredi 3 avril 2020, dans le cadre de la Nuit de la Géo confinée, la Géothèque avait programmé une projection-rencontre virtuelle autour du film L’image qu’on s’en fait avec son réalisateur Seb Coupy. Il a accepté de répondre aux questions des géothécaires et de se prêter au jeu, difficile, de l’intervention à distance, merci à lui. Voici ici quelques unes des questions-réponses de cette soirée.

Pouvez-vous nous dire ce qui vous a donné envie de faire ce documentaire ? Quelle est la genèse du film ?

Ces panneaux-là je les ai dans la tête depuis mon enfance, on voit passer ces panneaux, ça crée des jalons, comme une sorte de petite borne. Je me suis toujours dit qu’un jour je ferais quelque chose là-dessus. Quand on est de quelque part, tout le monde a un panneau en tête. Les gens connaissent un panneau près de chez eux. D’abord, ça amène à réfléchir sur ces images de la France. C’était avant les élections présidentielles de 2017, qui annonçaient peut-être une arrivée de l’extrême-droite, donc j’avais des questionnements autour de ce que ça veut dire d’être de quelque part, de se sentir de quelque part… Ces images-là nous emmènent vers des questions d’identité.

Il a fallu trouver des panneaux qui ne se répètent pas. Il y a plusieurs types de panneaux : architecture, gastronomie, paysages… Je ne voulais pas faire plusieurs fois le même type de panneau. Il n’existe pas de catalogue/base de données répertoriant ces panneaux touristiques autoroutiers, donc j’ai utilisé Google Maps/StreetView pour repérer des panneaux intéressants (repérage virtuel). Ensuite, il fallait espérer que les panneaux présents sur les images de Google soient toujours en place au moment du tournage.

Un panneau vous a marqué pendant votre enfance ?

J’ai habité pas très loin de la Suisse, dans le pays de Gex, donc j’ai été marqué par un panneau décrivant le CERN. Mais je n’ai pas pu le mettre dans le film, car il existe différents types de panneaux. Les panneaux qui sont dans le film sont les panneaux H10 (autoroute), mais il en existe d’autres types. Je voulais des panneaux avec des représentations graphiques, et des panneaux faits pour les autoroutes car ceux faits pour les voies rapides ont un niveau de détail supplémentaire et davantage de couleurs. Ce qui m’intéressait, c’était la simplification maximale d’une représentation d’une région, donc les panneaux qui sont présents sur des portions où l’on roule à 130 km/h.

Est-ce que les personnes rencontrées s’étaient déjà interrogées sur le sens de ces panneaux ?

Non, je ne crois pas. Moi-même je ne me questionnais pas tant que ça avant de faire ce film. Je pensais que ça représentait quelque chose de remarquable. Une fois que je leur posais la question : est-ce que ce panneau a un sens pour eux, que l’endroit où ils vivent soit représenté par cette image, alors là oui les gens avaient assez rapidement des choses à dire. Ça touche à quelque chose d’assez intime : c’est à la fois complètement impersonnel, car ce sont des choses qui ont été construites à l’origine à partir du choix des sites remarquables du guide Michelin, et en même temps les gens se sentent quand même proches de ces symboles. La plupart du temps, les gens avaient des choses à dire sur ces images, il y avait assez peu de rejets, de moqueries.

Est-ce que le marron a une signification et pourquoi cette couleur a été choisie pour ces panneaux ?

Les premiers panneaux ont été faits dans les années 1970 par Jean Widmer, un graphiste suisse (qu’on voit au début du documentaire). C’est la seule couleur qu’on ne retrouve pas dans les panneaux habituels de signalisation routière. Pour moi, c’est aussi la couleur du patrimoine, ça rappelle le sépia… Je me suis beaucoup amusé avec cette couleur, dans le titre du film sur fond marron, à la fin aussi et plusieurs fois dans le film, on entend la couleur marron. Il y a notamment un des veaux qui est vendu qui s’appelle « Marron », c’était un hasard ! La couleur du camembert aussi. Les gens quand ils regardent le feu d’artifice (dans la séquence sur Paris) ont tendance à virer au marron.

Quelle a été votre démarche méthodologique ?

Il n’y a pas vraiment eu de démarche, la méthode c’était d’arriver quelque part, de filmer le panneau, ce qui était déjà assez compliqué car nous n’avions pas la possibilité de nous arrêter sur l’autoroute. Définir par GPS une petite rue ou chemin permettant d’accéder au panneau, bien observer l’heure du soleil pour ne pas être à contre-jour, il fallait arriver juste avant que le soleil passe derrière, il fallait qu’il y ait une belle lumière lorsque je filmais le panneau en frontal.Il y a eu aussi la partie humaine : se promener dans les villages/villes non loin du panneau. Nous avions imprimé une image du panneau, on commençait à en parler aux gens, et en fonction de ce que les gens nous racontaient, on leur proposait une nouvelle rencontre, soit un peu plus tard dans la journée, soit le lendemain, pour essayer de construire quelque chose avec eux 

Quel est le but de ces panneaux ?

Le vrai nom de ces panneaux c’est la signalisation d’animation touristique, il y a donc trois éléments : le tourisme, la signalisation (on signale un lieu), l’animation (ça “anime” l’autoroute). Au tout début ils ont été construits parce que les gens n’avaient pas l’habitude de rouler sur les autoroutes et il y avait de l’hypovigilance, ils s’endormaient, il y avait des accidents. Les concepteurs de l’époque ont cherché une manière d’animer l’autoroute pour que ce soit moins monotone : ils ont pensé à ces panneaux, au départ c’était même sous forme de jeu, des pictogrammes vraiment très simples (à mon avis ce sont peut-être les panneaux les plus beaux !), ça ne disait presque rien sur le lieu. Et quelques km plus loin il y avait une réponse. Quand on est sur une autoroute, on est dans une espèce de non-lieu, dans un endroit qu’on traverse, on va traverser un pays sans voir grand-chose, donc c’est peut-être une façon de créer une représentation du pays pour les gens qui ne font que traverser le pays comme ça. Au début du film il y a une métaphore sur l’un des panneaux, c’est une citation de l’époque dans les années 1970, qui parle de la fameuse fenêtre ouverte sur le pays, donc je pense que c’est aussi une façon de donner une image du pays. En quelques images, on a décidé de donner une image très simplifiée d’un pays tout entier.

Votre mère est prof de géo, est-ce que ça a pu influencer votre regard de documentariste ?

Je ne m’étais jamais fait la réflexion, mais oui je me suis dit à un moment que j’étais finalement resté assez longtemps parmi les cartes, à la maison. Mon père était dessinateur-topographe, lui aussi arpentait les chemins pour faire des relevés. Donc tout ça a sans doute influencé sinon mon regard, au moins mon intérêt pour ce type de choses.

Est-il prévu de recenser tous les panneaux dans une base de données consultable ?

Je n’en ai pas trouvé. Certaines sociétés d’autoroute peuvent en fournir, j’ai pu obtenir quelques listes (surtout de la part des autoroutes d’État). C’est un peu au coup par coup, j’ai surtout cherché les panneaux moi-même, en arpentant les autoroutes virtuellement.

À qui fait on appel pour dessiner ? Dessinateurs attitrés, concours ?

Il y a des dessinateurs attitrés pour des tronçons. Généralement, les graphistes sont employés non pas pour faire seulement un panneau, mais pour s’occuper d’un tronçon d’autoroute. Ce sont des choses qui ont beaucoup changé depuis les années 70, aujourd’hui par exemple, les APRR1 sont en train refaire presque tous les panneaux de leurs autoroutes. Il y a un travail d’habillage de l’autoroute, c’est vraiment du design, c’est conçu de A à Z, aujourd’hui c’est comme ça qu’on fabrique ces panneaux.  Avant, sur la même autoroute, en changeant de tronçon on pouvait avoir des graphistes différents. Et il y a aussi des panneaux, parce qu’ils étaient abîmés, qui ont été transformés par d’autres graphistes. C’est très variable, car il y a certains endroits en France où les panneaux sont très divers, graphiquement, même sur des tronçons de 200-300 km (car faits par des graphistes différents) et puis d’autres autoroutes où l’on va avoir une harmonie car c’est le même graphiste. Je crois qu’il y a un concours mais ce n’est pas très sûr.

Est-ce que ce type de panneau existe dans d’autres pays, car on a vraiment l’impression dans le film que c’est très français ?

Oui, ça existe dans plein d’autres pays. Ça a été imaginé en France pour la première fois, mais ça a fait des petits et on en retrouve en Allemagne, en Suisse, en Belgique, en Tunisie, au Maroc… Très souvent, on retrouve l’idée qu’il faut un dessin très simplifié, peu de couleurs. En Belgique, c’est différent, il y a des phrases qui jouent sur l’absurde, c’est assez étonnant.

Aujourd’hui, ces panneaux-là sont faits comme des illustrations. D’ailleurs, récemment il a été demandé à des illustrateurs de BD de dessiner des panneaux. Ils sont assez beaux, mais sont très différents des panneaux d’origine : c’est vraiment une illustration qui représente un château en particulier de manière très précise, alors qu’avant, à part les architectures dessinées par Jean Widmer, c’étaient souvent des dessins très simples, qui ne cherchaient pas à représenter un lieu en particulier. Je trouvais ça très intéressant, car ces dessins simples se démodent beaucoup moins vite. Tous les croquis de Jean Widmer ont été rachetés par le CNAP en 2016, lui-même a été patrimonialisé, d’une certaine manière, c’est assez drôle.

Les panneaux récents sont plus hauts que les précédents ?

En effet, ça dépend des tronçons d’autoroute. Il y a maintenant des panneaux qui sont à la verticale, ce sont des choix faits par certaines sociétés d’autoroute (ici APRR). Ils ont choisi cette ligne graphique, ils sont en train de remplacer les anciens panneaux par ces formats verticaux. Par exemple, celui d’Alésia, avec le Muséoparc. Le jour où je suis allé filmer l’ancien panneau sur Alésia, il n’était plus là, il avait été enlevé quelques jours avant. C’était un panneau qui avait un autre format, et qui m’intéressait, car on voyait un Gaulois et un Romain en train de se battre. Mais cette image ne correspondait plus au discours actuel du Muséoparc. C’est un chapitre qui m’aurait intéressé d’aborder, cette représentation des Gaulois, mais c’était trop tard !

Avez-vous eu des retours plutôt admiratifs ou péjoratifs sur ces panneaux (comme les dames de la Côte-d’Azur qui les trouvent affreux) ?

Il n’y avait pas forcément de commentaires admiratifs, mais plutôt une forme d’attachement soit au panneau, soit à la chose qui est représentée. Et ce n’est pas forcément évident de faire la séparation entre les deux : les gens en parlaient de la même manière. J’ai eu assez peu de réactions de gens qui ne les trouvent pas très beaux, et même dans ces cas-là, il y avait une forme d’attachement aux éléments représentés, parfois en critiquant les choix qui ont été faits. Une grande part des gens que nous avons rencontrés trouvaient ces images assez sympathiques en fait.

Est-ce que le choix de Paris était inévitable pour vous, et un passage obligé avec la Tour Eiffel ?

J’avais envie de construire un film qui nous amène vers Paris, car la Tour Eiffel c’est le symbole national, c’est un phare : c’est le symbole ultime de la France, celui qu’on a vendu au monde entier. Donc ça m’intéressait qu’on parte de petites villes et que l’on rejoigne ce phare. Il y a une séquence où l’on entrevoit des mains noires chargées de petites tours Eiffel au Trocadéro, ça m’intéressait d’être là pour pour rejoindre le symbole national, à Paris le 14 juillet. La séquence se termine pendant le défilé avec la voix du Président « c’est ça qui fait la France ». Tandis que des centaines de mains se lèvent armées d’un smartphone pour photographier la tour. Ça c’est quelque chose auquel j’ai pensé dès le départ.

Le panneau représentant Béziers : est-ce que c’est vraiment l’image-type de Béziers ? Il y a un jeu intéressant dans le film autour de cette image, avec superposition, même point de vue…

Oui c’est vraiment l’image-type de Bézier, aucun doute là-dessus. On retrouve cette image dans le magnet qu’on met sur le frigo, dans les cartes postales, un peu partout, vue et prise sous le même angle. Ce qui est intéressant, c’est qu’à Béziers, il y avait des grands autocollants posés sur les vitrines des magasins vacants. Le maire de Béziers, plutôt que de laisser les vitrines vides, il avait décidé de mettre cette grande image de Béziers sur les vitrines. Cette image parlait vraiment aux gens. J’ai ramené de tous les endroits que j’ai filmés des magnets pour frigo qui représentent la même image que les panneaux. J’aurais pu le faire aussi avec les cartes postales ou autre chose.

Y a-t-il des enjeux stratégiques et politiques sur le choix des visuels ?

J’ai toujours trouvé cela très compliqué, car ces panneaux signalent des lieux, mais ils n’indiquent pas quelle sortie il faut prendre, à combien de kilomètres ça se trouve : ce sont des panneaux assez particuliers, car ils signalent : « il y a quelque chose ici ». Dire juste ça, ce n’est pas vraiment de la publicité. Au début, l’objectif n’était pas forcément de faire sortir les gens de l’autoroute, car ils prennent l’autoroute pour aller vite et pas faire des détours. Et puis aujourd’hui, il commence à y avoir des enjeux économiques beaucoup plus prégnants et ça change un peu la donne. À l’origine, c’était vraiment fait pour donner une image dans un lieu où il n’y en a pas.

Quelles sont vos influences cinématographiques ?

J’aime beaucoup Luc Moullet. J’essaie d’avoir un maximum d’influences : j’aime beaucoup Alain Cavalier, Johan van der Keuken, mais aussi plein de gens qui font des choses aujourd’hui.

Est-il prévu que le film sorte en salle ? Ce serait chouette

Le film a été produit parla télévision, mais il a été fabriqué pour le cinéma. J’ai donc pu le diffuser en salle à plusieurs reprises. Pendant le mois du film documentaire ou lors des sélections en festival j’ai pu le voir sur grand écran : en salle, les panneaux étaient quasiment reproduits à l’échelle 1 et l’on avait la sensation d’être face à des images gigantesques, comme sur le bord de l’autoroute. Le film a été disponible sur la plateforme Tënk, ce qui lui également a donné une visibilité.

1Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (ndlr)

Les villes de demain ou le rêve de la cité-jardin

Les quatre documentaires de la deuxième série du coffret édité par Arte sur Les villes de demain, « Naturopolis », se tournent plus spécifiquement sur les enjeux environnementaux. Ils montrent de quelle manière quatre mégapoles, malgré leur gigantisme (entre 12 et 40 millions d’habitants avec agglomérations selon les villes), réfléchissent à d’autres modes de développement, durable autant que possible, et tentent de se réconcilier avec la nature. New York ne veut plus se contenter des 300 ha de Central Park ou Paris de ses bois de périphéries Boulogne et Vincennes.

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Carte : la périurbanisation au sud-est de Paris

Périurbanisation-Sud-Est-de-ParisUne nouvelle carte tirée du Bouron-Georges1Jean-Benoît Bouron, Pierre-Marie Georges, Les territoires ruraux en France, Une géographie des ruralités contemporaines. Ellipses, 456 p., 2015, desservie dans l’ouvrage par la contrainte du noir et blanc. La version couleur conviendra aux professeurs désireux de vidéoprojeter l’image à leurs élèves ou étudiants. Nous ne reviendrons pas ici sur les formes spatiales que prend la périurbanisation à l’échelle de l’agglomération (notons simplement au passage le rôle des forêts domaniales pour ralentir le front d’urbanisation, et inversement le rôle facilitateur du RER D2C’est l’existence d’un direct Paris-Melun qui explique la distance-temps de 35 minutes seulement entre les deux gares alors que des gares plus proches sont à 40 ou 50 minutes de trajet). Cette carte vise à placer dans un contexte plus vaste quatre vignettes représentant la morphologie du bâti, qui sont pour leur part à l’échelle de la carte topographique. Les quatre exemples que nous avons choisi permettent de s’exercer à la lecture des formes du bâti sur les cartes à grande échelle à partir de cas très individualisés. Lire la suite

Notes

Notes
1 Jean-Benoît Bouron, Pierre-Marie Georges, Les territoires ruraux en France, Une géographie des ruralités contemporaines. Ellipses, 456 p., 2015
2 C’est l’existence d’un direct Paris-Melun qui explique la distance-temps de 35 minutes seulement entre les deux gares alors que des gares plus proches sont à 40 ou 50 minutes de trajet

It follows : horreur géographique

David Robert Mitchell, 2014 (États-Unis)

HORREUR GÉOGRAPHIQUE

It follows, sorti en 2015 sur les écrans français, a fait sensation auprès des amateurs de films d’épouvante ou d’horreur. Le scénariste et réalisateur David Robert Mitchell nous parle d’une certaine actualité puisqu’en choisissant Détroit comme décor (lui vient de Clawson dans la banlieue nord de la ville), il fait de Motor City le catalyseur de toutes les contaminations possibles d’une réalité socio-économique. Par les différentes allées et venues effectuées des quartiers bourgeois et préservés de la crise (au moins en apparence) vers ces enfilades de pavillons fantômes, il n’est pas difficile de penser à la contamination par la misère dans un premier temps et à celle opérée ensuite (grâce à l’emprise nouvelle d’un ou deux milliardaires) par la reprise économique. La lente mais sûre ruine immobilière a traduit morphologiquement toute la décrépitude économique d’une métropole en crise depuis des décennies et qui a finalement été déclarée en faillite en 2013. Les maisons abandonnées aux façades inquiétantes, parfois même éventrées depuis le temps, ont-elles appartenu à ces spectres terrifiants qui dans le film cheminent solitaires et lents vers leurs victimes ? Qui sont ces ombres tant redoutées par Jay (Maika Monroe) et ses amis ? Des chômeurs, des endettées, des nécessiteux délaissés ? Ces quartiers que certains citoyens aujourd’hui ne veulent plus voir et qu’ils démontent maison après maison, planche par planche sont à la marge. Une des filles dans It follows évoque même l’idée d’une frontière établie entre les quartiers bourgeois et les banlieues pauvres, entre le centre-ville et la périphérie, le centre commercial indiquant la limite que ses parents, petite, lui interdisait de franchir (« Je me disais que c’était vraiment dégueulasse et tordu »).

Détroit la moribonde, Détroit la lazaréenne

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Ville et développement durable à Nairobi

Le Parc National de Nairobi. A l'arrière, la skyline du CBD. Photographie Le Monde / Phil Moore

Le Parc National de Nairobi. A l’arrière, la skyline du CBD. Photographie Phil Moore / Le Monde

Un récent article d’Audrey Garric, paru dans Le Monde, offre un bon exemple de conflit d’usage pour un espace protégé. Il s’inscrit au cœur des thématiques étudiées en histoire-géographie en classe de 2nde. Un conflit d’usage est, en géographie, une tension entre plusieurs acteurs spatiaux qui cherchent à utiliser la même ressource ou le même espace, ces utilisations étant contradictoires. Ici, l’existence d’un Parc National protégé aux portes d’une ville, est fragilisée à la fois par les pollutions d’origine urbaine et par la pression urbaine. L’habitat informel, l’autre nom des bidonvilles (slums en anglais), autoconstruit et par définition illégal, tend à se développer dans les interstices et les marges urbaines. La progression de l’habitat informel ne touche pas le parc, mais réduit l’espace disponible autour de la ville : la zone protégée est de plus en plus considérée comme une réserve foncière. Les autorités kényanes ont déjà autorisé la construction d’infrastructures routières et ferroviaires à l’intérieur des limites du parc.

L’article d’Audrey Garric illustre les enjeux du développement durable dans les villes du Sud. La rapidité de l’urbanisation (Nairobi, 3 millions d’habitants en 2009, a été fondée en 1899) entraîne une forte artificialisation des surfaces agricoles (ici plutôt pastorales) et naturelles. Il s’agit aussi d’une urbanisation de très faible densité à l’exception du CBD (dont la disposition conforme ici au modèle théorique de la ville africaine tel qu’on l’enseignait il y a dix ans, ci-dessous). Lire la suite

Cartes du site de la Confluence à Lyon

ConfluenceConfluence en 1914Ces deux cartes, réalisées à la demande d’un professeur de collège, pourront par exemple dépanner des enseignants souhaitant travailler avec leurs élèves sur le site de la Confluence à Lyon.

La juxtaposition avec la carte de 1914 montre bien le basculement qui s’est opéré en un siècle (un pas de temps un peu long pour l’analyse des faits urbains mais j’ai été un peu contraint par la documentation). La Confluence de 1914 est l’espace de la relégation urbaine, on peut parler d’exurbanisation pour ce phénomène consistant à reléguer sur les marges urbaines les structures consommatrices d’espaces (gare, arsenal) ou productrices de nuisances (prison, usine à gaz), et souvent les deux. C’est aussi bien sûr l’espace de la relégation sociale (prolétaires, détenus), et pour beaucoup le quartier de Perrache évoque encore aujourd’hui une prostitution mal cachée. En 2014 à l’inverse la dynamique est celle de la création d’une nouvelle centralité et ce terme revient souvent dans les documents produits par les acteurs publics et privés. La séparation nette des usages a fait son temps et l’enjeu n’est plus de produire de l’urbain mais de créer de la ville, c’est à dire un espace de mixité et de densité. Le vert étant à l’ordre du jour, cela ne va pas sans la création de nombreux parcs urbains. On voit en effet que la confluence n’est plus une marge urbaine, le bâti a gagné du terrain partout autour. Enfin, le siècle écoulé a été celui d’une transition économique entre une France vouée à l’industrie, et aujourd’hui le rôle prépondérant accordé aux fonctions commerciales, culturelles et de loisirs.

Le développement durable, en tant qu’objectif, est également présent sur la carte de 2014, avec ses trois piliers (social, environnemental et économique), mais également dans une dimension plus actuelle intégrant un quatrième pilier culturel.

Voici les versions Noir et Blanc pour photocopies :

Confluence1914-NBConfluence-NB

Montreuil, « Carnet in situ » de Mehdi Zannad

Les artistes qui s’intéressent à la ville aujourd’hui sont légion. Qu’ils la prennent pour sujet (Dreamworld de Léo Fabrizio si l’on veut en citer un dont le travail nous a récemment séduit) ou bien pour support (graffitis, collages, stencil ou yarn bombing : Banksy, Invader, Miss.Tic… et une myriade de plus). A propos de la ville sujet et support (Los Angeles), on reverra également avec intérêt Mur Murs d’Agnès Varda (1981).

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Mehdi Zannad lui aussi prend la ville comme sujet et, d’une certaine façon, tout autant comme support. Il ne fait pas du graphe à Lyon ou à Toulouse, ni ne filme séduit et curieux une métropole américaine ou une mégapole asiatique. Debout dans un coin de rue de Montreuil, quelque part en bord de route, il dessine la ville sur un petit carnet qu’il remplit. Selon ce qu’il écrit dans « sa règle », lui en tant que personne intègre même le paysage. Littéralement. Le temps du croquis, le temps long de sa pose (une, deux, trois heures ou plus ?), il est aussi figé que du mobilier urbain : « Le corps devient présence, s’enracine, relie le spectacle de la rue à sa projection sur la feuille ». D’ailleurs il précise que son « street art est contemplatif et solitaire ». Un urban sketcher qui réfléchit à sa condition.

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La démocratie participative en une image

democratie participative

Résultat du vote sur le budget participatif de Paris publié sur Facebook par Anne Hidalgo, saisie d’écran, septembre 2014.

Les programmes d’histoire-géographie et d’éducation civique incitent à s’intéresser à la démocratie locale et à ses nouvelles formes d’expression. Les documents proposés par les manuels scolaires sont parfois peu satisfaisants. Cette image m’a intéressé car elle montre deux aspects de la démocratie participative, emboîtés : la participation directe des citoyens à la prise de décision, et la communication directe des élus par les réseaux sociaux. Lire la suite

A l’Est, des villes américaines contrastées

Publiée à l’origine dans l’article consacré à Charlotte et au travail d’animation vidéo de Rob Carter, nous isolons ici, pour un usage libre, une version décontextualisée de la carte sur le dynamisme démographique des villes de l’Est des États-Unis. Pour rappel, nous nous étions intéressés à l’échelle des municipalités pour coller au plus près du sujet des fonctions métropolitaines traité dans le cas de Charlotte. Le périmètre de la population communale reste donc le cadre statistique utilisé ici, en y ajoutant une représentation de la population des aires métropolitaines ; façon d’appréhender rapidement le poids de la « suburbanization » dans les régions métropolitaines américaines (voir notamment Miami).

Faudrait pas froisser Charlotte

Pour ceux qui comme moi ont d’abord connu Charlotte par son équipe de basket, et feu le petit frelon bleu des Charlotte-Hornets, force est de constater qu’aujourd’hui encore ça bourdonne pas mal dans la plus grande ville de Caroline du Nord [1]: la croissance démographique y est de manière continue l’une des plus forte des États-Unis (réf. United States Census Bureau [2]) et son développement urbain semble frénétique. C’est cet aspect urbanistique que le travail d’animation-vidéo de Rob Carter traite de manière pédagogique et engagée. En permettant au spectateur de suivre en 9 minutes une histoire abrégée de la ville (à travers un processus de narration original mettant en mouvement des images aériennes de la ville), l’artiste fait revivre les strates de l’histoire urbaine de Charlotte, pour recréer le paysage de l’expansion d’une métropole américaine, jusqu’à son dénouement apocalyptique.

Lien Vidéo. Metropolis by Rob Carter – Last 3 minutes from Rob Carter on Vimeo.

L’intégralité de la vidéo est consultable sur le site internet de l’artiste.

http://www.robcarter.net/Vid_Metropolis.html

Tectonique des plaques urbaines à Charlotte

Vue dans le cadre de l’exposition « Rêves d’Icare » au centre Pompidou-Metz, qui traitait de l’influence de la vue aérienne sur la perception que les artistes ont du monde [3], l’animation de Rob Carter fait commencer l’histoire de la ville à partir des années 1750, sur un chemin forestier du territoire des indiens de Catawba [4] où l’on assiste à la construction de la première maison de colons (ce que ne renieraient pas les fans de Civilization…). De là, nous voyons la ville se développer avec dans un premier temps la prospérité de la ruée vers l’or, puis l’émergence d’une multitude d’églises (ce qui a rendu la ville célèbre), et enfin la naissance des infrastructures d’une ville moderne. Le film s’attarde alors tout particulièrement sur les effets du boom économique des 20 dernières années sur l’architecture urbaine, avant d’envisager sa chute. Lire la suite

Zabriskie Point : la périurbanisation à Los Angeles en 1970

L’invité de la Géothèque : Benjamin Fauré, du site La Kinopithèque, qui traite régulièrement des relations en la géographie et le cinéma.

Dans Zabriskie Point, que Michelangelo Antonioni réalise en 1970, L.A. apparaît comme une métropole moderne, industrielle et ultra-sécuritaire (froideur des lignes urbaines, présence policière, agents de sécurité et caméras de surveillance). A travers ces thèmes, il est difficile de ne pas penser au célèbre essai de Mike Davis, City of Quartz (1990). Avec force détails, le sociologue urbain consacre tout un chapitre, « La forteresse L. A. », à l’inflation sécuritaire qui renforce selon lui les ségrégations raciale, sociale et spatiale. Le rapport que Zabriskie Point entretient avec City of Quartzest d’autant plus évident quand Antonioni étend sa critique à la consommation de masse qui génère tout l’artifice des paysages urbains (les panneaux publicitaires géants qui, de leurs sourires peints et de leurs slogans colorés, écrasent la rue et les passants), ou davantage encore quand il installe les promoteurs immobiliers, ceux que Davis nomment « la nouvelle pieuvre », à la tête de l’économie de la ville. Lire la suite

La Kinopithèque, du cinéma et de la géographie

Blog invité
SPRAWL
VAMPIRIQUE ET BANLIEUE PAVILLONNAIRE A LAS VEGAS


David Hockney, A lawn being sprinkled, 1967, Collection privée, Los Angeles.

La peinture A lawn being sprinkled de David Hockney inspire un contrôle parfait de l’espace. La pelouse, la villa, la palissade sont des rectangles de différentes tailles distribués comme sur une œuvre de Mondrian. Ni cascade, ni flaque, l’eau expulsée du système d’arrosage automatique est un élément maîtrisé. Hockney peint ces jets d’eau sous la forme de huit triangles isocèles, pointe en bas, qui régulièrement répartis sur un plan-pelouse créent la profondeur. Malgré le ciel bleu et l’arrosage, le tableau peine à donner une impression d’humidité ou de fraîcheur. Les seuls éléments « naturels » sont deux plantes et deux arbres [3] aux formes complémentaires qui ont été placées au fond de la composition. Ainsi proportionnés et répartis, ces pauvres végétaux paraissent fragiles au milieu de la structure géométrique qui s’impose, les accule (contre la maison) ou les coupe (derrière la palissade). Pas d’horizon, rien d’immense, l’espace circonscrit est à taille humaine comme une maison avec jardin. L’impression de contrôle de l’espace est accentué par le cadre de la toile, un carré qui enferme l’ensemble, ciel y compris. Les couleurs utilisées sont attendues : vert-pelouse, bleu-ciel, gris-béton. Tout est familier. Rien qui n’échappe à celui qui observe le paysage, ni qui puisse le perturber. Pas une mauvaise herbe, pas un nuage, pas un intrus. Tout est donc sous contrôle, rassure et place le spectateur en sécurité. Cette sécurité n’implique cependant pas pour autant le confort. Le lieu (peut-être la cellule privative d’une gated community), aussi propre et sécurisé soit-il, ne donne pas nécessairement envie de s’y installer.

(… Lire la suite sur : http://www.kinopitheque.net)

Géographie urbaine

Centre historique : Espace compris à l’intérieur des anciens remparts.

1 : Les remparts ont été détruits pour construire un boulevard périphérique.

Faubourgs industriels : Extension de la ville à l’époque industrielle, avec le développement des chemins de fer.

2 : Cimetières construits à l’extérieur du centre historique par manque de place. Ancienne usine (1ere industrialisation), désaffectée, ou affectée à un nouvel usage (musée par exemple).

Banlieues : Extension de la ville depuis l’époque industrielle, jusqu’aux périphéries actuelles plus lointaines. La densité du bâti diminue progressivement vers l’extérieur.

3 : Quartier d’affaires. Immeubles de bureaux.

4 : Grands ensembles. Habitat collectif construit après la 2nde guerre mondiale pour reloger la population. Quartiers parfois en crise sociale et économique suite au départ des classes moyennes.

5 : Habitat pavillonnaire. Le plus important en superficie, il s’est surtout développé après 1960, avec le rêve de la propriété individuelle pour les classes moyennes.

6 : Zone d’activité. Entreprises industrielles et de services de l’époque post-industrielle, installées à proximité de l’autoroute (en France, le camion a remplacé le train pour le fret au XXe siècle). Très grands centres commerciaux en périphérie lointaine.

Espace périurbain : Transition entre l’espace urbain et l’espace rural, c’est une campagne en cours d’urbanisation.

: Village. Parfois, l’urbanisation absorbe ces anciens centres de peuplement.

8 : Nouveau lotissement. Construction de maisons individuelles. Lotir signifie partager une parcelle en plusieurs lots constructibles, vendus séparément.

: Mitage. L’espace rural est parsemé de construction nouvelles.

Espace rural : Inclut l’ensemble des communes non urbaines.

10 : L’agriculture et l’élevage sont l’une des activités de l’espace rural, mais pas seulement : certaines campagnes sont industrielles, touristiques, résidentielles …

Comparaison de quatre agglomérations urbaines françaises : superficie et population (Caen, Toulouse, Rennes, Montbéliard)

Cette page a pour but de permettre une comparaison rapide entre quatre agglomérations urbaines françaises. Les quatre agglomérations sont représentées à la même échelle, pour faciliter la comparaison des superficies. Pour chaque agglomération sont indiqués les différents chiffres de la population donnés par l’INSEE. Le rang correspond au rang de l’agglomération parmi les autres agglomérations françaises.

La population communale est à la fois le chiffre le plus souvent cité et le moins pertinent. Il ne prend en compte que la population de la « ville-centre » de l’agglomération, ou « commune éponyme », celle qui a donné son nom à l’agglomération. Dans le cas de Montbéliard par exemple, les 4 334 habitants de Sochaux ne sont pas comptés parmi les 27 043 habitants de Montbéliard, alors que les deux villes sont morphologiquement et fonctionnellement intégrées.

L’unité urbaine est considérée « un ensemble d’une ou plusieurs communes présentant une continuité du tissu bâti (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) et comptant au moins 2 000 habitants. La condition est que chaque commune de l’unité urbaine possède plus de la moitié de sa population dans cette zone bâtie. » (définition de l’INSEE)

L’aire urbaine est la définition urbaine la plus englobante. Ce n’est plus la morphologie qui est prise en compte (continuité du bâti) mais la polarisation par l’agglomération de l’espace qui l’environne. Elle tient compte de l’évolution des modes de vie, des phénomènes de péri-urbanisation et de l’allongement des mobilités domicile-travail. L’INSEE définit une aire urbaine comme « est un ensemble de communes, d’un seul tenant et sans enclave, constitué par un pôle urbain, et par des communes rurales ou unités urbaines (couronne périurbaine) dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci. »

comparaison superficie agglomérations françaises

Commentaire

CAEN : L’agglomération de Caen est caractérisée par une forte croissance périurbaine. Une partie importante de la population de la capitale bas-normande est allée grossir les communes rurales de la campagne caennaise. Cette périurbanisation n’est pas prise en compte dans la population de l’unité urbaine. La polarisation par Caen d’un large territoire est visible par l’importante population de l’aire urbaine, deux fois plus nombreuse que celle de l’unité urbaine. Cette caractéristique se retrouve dans le rang de la ville : elle est la 31e de France par la population de son unité urbaine, mais seulement la 21e pour la population de l’aire urbaine.

RENNES : Rennes est réputée pour être une ville particulièrement dense, par comparaison avec des agglomérations françaises de taille comparable. (cf. travaux de Patrick Pigeon). On remarque sur le croquis le très faible éclatement de la morphologie urbaine, avec peu d’îlots de peuplement périurbains. Au contraire, la population est concentrée dans la ville-centre et dans quelques communes périphériques. Le graphique (à gauche de la vignette) montre cependant le même écart du simple au double entre aire urbaine et unité urbaine. En effet, les noyaux urbains proches mais non contigus, ainsi que des communes plus éloignées, représentent une population nombreuse, effectuant chaque jour un trajet domicile-travail vers Rennes. La taille de l’aire urbaine (visible sur le graphique mais pas sur la carte) reflète l’importance des mobilités pendulaires dans l’agglomération.

TOULOUSE : Comme Rennes, la ville est l’une de celles qui a connu l’une des plus fortes croissances démographiques en 20 ans. Entourée comme Caen et Rennes par une plaine agricole peu accidentée, l’étalement urbain y a rencontré peu de résistance. On retrouve de façon distincte les trois phénomènes propres à la croissance urbaine au XXe siècle : urbanisation en « tache d’huile« , avec intégration de noyaux urbains voisins, urbanisation en « doigts de gant » le long des axes de communication, et mitage (développement d’îlots de peuplement périurbains).

MONTBÉLIARD : Les mêmes phénomènes se retrouvent à une échelle différente, dans une agglomération plus petite et moins dynamique. La croissance régulière de l’unité urbaine sous l’impulsion ancienne de l’industrialisation (automobile) a conduit à la fusion de Sochaux et Montbéliard. Cette croissance de la ville a cédé le pas à celle des communes voisines (Beaucourt). L’exemple de Montbéliard illustre bien le risque existant à se contenter de la population communale de la ville-centre pour évoquer la taille d’une ville.