Géomorphologie alpine…

On apprend souvent la géographie dans les livres : comment faire autrement ? Dans les livres, et sur les cartes. Tous ceux qui ont fait des études de géographie se rappellent qu’ils ont dû, à un moment ou un autre, se pencher longuement sur une carte au 1/25000e pour y débusquer des formes de relief caractéristiques. Dun-sur-Meuse, montre-moi ta cuesta ! Pays de Bray, dévoile ta boutonnière … Pour apprendre à les reconnaître, on utilisait des schémas minutieux représentant ces reliefs dans une version idéale, simplifiée : des blocs-diagrammes. On trouve ce genre de dessin dans le célèbre manuel de Max Derruau(1) ou dans les premières pages de l’Atlas 2000 (2). La géomorphologie, analyse des formes de reliefs semblait inutile à beaucoup d’étudiants. « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile », comme E. Rostand le fait dire à Cyrano. Cependant, à force de reconnaître les reliefs sur  des schémas, des portions d’espace terrestre dûment découpées comme une part de mille-feuille, ou d’en déceler les indices sur des cartes, c’est-à-dire d’en haut, je me demandais alors si j’aurais su reconnaître cette bonne vieille cuesta si elle se présentait, devant moi, étalant ses formes souples dans un paysage viticole ou forestier.

photo_valle_glaciairePas de cuesta ici, mais un bel exemple de relief glaciaire, dans ce paysage découvert au cours d’une promenade. En partant de Briançon vers le Nord, on laisse la Durance à droite et on longe la vallée de la Clarée. A Névache, l’été, on doit laisser sa voiture et emprunter une navette. La vallée fait l’objet d’une opération grand-site (comme autour de la roche de Solutré, célèbre cuesta celle-ci(3)…) et il s’agit d’y limiter la circulation automobile. En partant à pied de Fontcouverte sur le GR57 on entame une ascension dans un paysage alpestre des plus bucoliques. C’est là, après trois heures de marche, qu’elle dévoile ses formes gracieuses.

croquis_photo_coulC’est une petite vallée glaciaire discrète, plutôt modeste. En raison de ses dimensions réduites, elle fait tout de suite penser à ces blocs diagrammes évoqués plus haut. Tout est là : les moraines latérales et le bourrelet frontal, le fond plat marécageux où serpente un torrent sous-glaciaire au cours anastomosé, les versants rabotés en forme d’auge, et la petite vallée suspendue débouchant à gauche. J’ai eu envie de pousser le jeu jusqu’au bout, et en partant de cette photographie, d’en réaliser un schéma explicatif, comme ceux de ces bons vieux manuels de géographie physique qui sentaient un peu la poussière.

croquis_carte_coulEt pour ceux qui ne jurent que par la vision verticale, celle des photographies aériennes et des cartes , j’ai reporté (ci-contre) les éléments ci dessus sur la carte IGN 3535OT (Névache-Mont Thabor).

Ces deux croquis sont également disponibles en noir et blanc, au cas où il  vous viendrait l’idée particulièrement saugrenue de les reproduire.

croquis_photo_nb   croquis_carte_nb

Je dédie cette chronique à mes amis historiens auxquels le mot « géomorphologie » évoque une pathologie grave mais non contagieuse dont souffrent certains géographes, une dangereuse monomanie dont l’attrait pour les cuestas est le principal symptôme.

Rédaction : JB Bouron ; Relecture : Jocelyn Massot

Sources
Photographie : Lucie Diondet
Carte IGN : Top 25 – 3535OT (Névache-Mont Thabor)

Notes

(1) DERRUAU M., Les formes du relief terrestre. Notions de géomorphologie. Réédité mainte fois chez Armand Colin.
(2) à l’époque ou cet excellent atlas des éditions Nathan ne s’appelait pas encore Atlas du XXIe siècle. La disparition de cette page dans les récentes éditions témoigne à elle seule de l’érosion que subit la géographie dite physique dans l’enseignement.
(3) Le Grand Site de Solutré-Pouilly-Vergisson et les Opérations Grand Site en général feront sans doute l’objet d’une chronique ultérieure

La ségrégation spatiale, en France aussi.

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La géographie s’est beaucoup intéressée à la pauvreté. L’étude des inégalités sociales est même une branche à part entière appelée géographie sociale ou radicale, dont Pierre George, David Harvey, ou Michel Philipponneau sont d’éminents représentants. Toutefois, les géographes peuvent également, à l’instar du couple de sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, se préoccuper du sort des riches.

 

Nous nous sommes intéressés, dans notre note précédente, aux banlieues riches de Los Angeles, mais le territoire français possède aussi des « Canoga Park » (ou des « Whisteria Lane » pour les téléphages). L’un d’eux se situe à la sortie de l’autoroute A13 reliant Paris à Rouen (ou si vous préférez, Auteuil à Deauville), dans le département des Hauts-de-Seine. Selon Wikipedia.fr, jamais avare d’informations factuelles, cette coquette commune est la moins peuplée et la moins dense du département (1743 habitants, 490 hab./km² (1)). Selon le ministère des finances, la commune bat un autre record, celui du revenu par habitant (81 746 € par an (2)). Comme souvent, il ne s’agit qu’une terne moyenne, qui masque probablement des écarts considérables puisque certains habitants de la commune comptent parmi les plus riches de France. Pour mieux connaître les préoccupations de ces habitants, on peut consulter la page « Sécurité » du site officiel de la municipalité (3), qui offre de précieux conseils pour les vacances :

 

« Que faire en cas d’absence durable ?

– Avisez vos voisins ou le gardien de la résidence.

– Signalez votre absence au commissariat de police: dans le cadre des opérations  » Tranquillité vacances « , une tournée de surveillance sera alors mise en place.

[…]

– Votre domicile doit paraître habité : demandez que l’on ouvre régulièrement vos volets.

[…]

– Placez vos bijoux et valeurs en lieux sûrs (les piles de linge sont les cachettes les plus connues). »

 

marneslacoquette_domainemarcheLa photo 1 (ci-contre, cliquez dessus pour agrandir) permet de découvrir le nom de cette fameuse commune  – mais peut-être l’aviez-vous deviné ? Les panneaux routiers (Suresnes, Garches) indiquent que nous sommes bien dans l’Ouest de la région parisienne. Au premier coup d’œil, la maison semble indiquer une banlieue pavillonnaire banale, aisée sans doute mais pas nécessairement huppée. Le nom du quartier « Domaine de la Marche », assurément pompeux, peut aussi bien être un leurre comme tant de dénominations locales cachant seulement un désir de reconnaissance (« Résidence les Lilas », « Villa Bellevue »). Cela dit, deux indications nous montrent qu’il s’agit d’une petite gated community, d’un quartier résidentiel fermé. D’une part, la barrière, ici levée (modeste comparée aux grilles d’entrées de certains quartiers), et d’autre part le panneau à droite « Domaine privé – voie sans issue » qui indique qu’il s’agit d’une voie privée et que le quartier n’a qu’une entrée. La photographie aérienne 2a (tout en haut) permet de corroborer ces suppositions. On repère l’angle de vue en rouge sur la photographie aérienne.

 

marneslacoquette_portailLes plus riches résidents de la commune (Johnny Hallyday, Hugues Auffray, Jacques Séguéla, l’émir du Qatar… cf article du Canard Enchaîné ci-après) préfèrent se replier derrière un parc arboré entouré d’un haut mur dont le portail est solidement surveillé comme sur la deuxième photographie (ci-contre). Géoportail permet là encore de s’introduire impudiquement dans l’intimité douillette de cette modeste masure.  On la retrouve sur la photographie aérienne 2b (tout en haut) qui dévoile une habitation de taille enviable entourée d’un parc non moins vaste. Les amateurs de croustillant se plairont à imaginer que c’est ici que réside l’une des personnalités citées plus haut.

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L’article du Canard Enchaîné (4) qui nous a donné l’idée de cette note offre un excellent exemple des difficultés rencontrées par les autorités pour mettre en œuvre une vraie politique de mixité sociale. La loi dite Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), promulguée en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, impose un quota de 20% de logement social dans chaque commune, dans le but de favoriser la mixité sociale intra-communale. On sait les limites de cette loi qui permettait aux communes en infraction de payer une lourde amende, ce que se sont empressées de faire les plus riches d’entre elles comme Neuilly-sur-Seine, dirigée alors par qui-vous-savez.

 

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D’après l’article du Canard Enchaîné (ci-dessus) Marnes-la-Coquette a trouvé une idée plus originale : construire les logements sociaux dans un petit espace disponible, compris entre l’autoroute et une voie ferrée.  En élargissant le cadre (photo aérienne ci-contre) on remarque à l’Ouest de cet espace entouré en rouge le musée des Applications de la Recherche de l’Institut Pasteur (5). L’article révèle un exemple intéressant des enjeux de la ségrégation socio-spatiale dans  la gestion communale, qui donne à penser sur les limites de l’unité républicaine, lorsqu’elle devrait s’appliquer notamment aux plus riches.

 

 

Rédaction : Jean-Benoît Bouron, photographies : Lucie Diondet

 

Notes et Sources :

(1) source : INSEE 2006

(2) source : www.Bakchich.info, 30 janvier 2008

(3) source : http://www.marnes-la-coquette.fr/marnes_la_coquette/menu_haut/vivre_a_marnes/securite

(4) source : Le Canard Enchaîné, mercredi 19 août 2009, p.5

(5) merci à Jocelyn Massot pour avoir identifié ce bâtiment et m’avoir fait parvenir ses conclusions.

Les photographies aériennes sont tirées du site de l’IGN, Geoportail.fr