Zabriskie Point : la périurbanisation à Los Angeles en 1970

L’invité de la Géothèque : Benjamin Fauré, du site La Kinopithèque, qui traite régulièrement des relations en la géographie et le cinéma.

Dans Zabriskie Point, que Michelangelo Antonioni réalise en 1970, L.A. apparaît comme une métropole moderne, industrielle et ultra-sécuritaire (froideur des lignes urbaines, présence policière, agents de sécurité et caméras de surveillance). A travers ces thèmes, il est difficile de ne pas penser au célèbre essai de Mike Davis, City of Quartz (1990). Avec force détails, le sociologue urbain consacre tout un chapitre, « La forteresse L. A. », à l’inflation sécuritaire qui renforce selon lui les ségrégations raciale, sociale et spatiale. Le rapport que Zabriskie Point entretient avec City of Quartzest d’autant plus évident quand Antonioni étend sa critique à la consommation de masse qui génère tout l’artifice des paysages urbains (les panneaux publicitaires géants qui, de leurs sourires peints et de leurs slogans colorés, écrasent la rue et les passants), ou davantage encore quand il installe les promoteurs immobiliers, ceux que Davis nomment « la nouvelle pieuvre », à la tête de l’économie de la ville. Lire la suite

Carte de situation du Vent des Forêts

A la suite du petit article qui se proposait de décrire l’inscription spatiale d’une œuvre de l’Espace Rural d’Art Contemporain du Vent des Forêts, certains m’ont interrogé sur la localisation précise de ce site dans le département de la Meuse.

Et puisque le site internet du VdF ne propose qu’une infographie sommaire pour illustrer « comment venir au VdF« , je me propose de partager cette carte de situation, très légèrement problématisée, que j’avais dans mes cartons et que j’ai rapidement modifiée dans un esprit « chargé de communication » pour insister sur l’aspect de l’accessibilité.

Au passage, cela peut introduire une réflexion sur le statut des espaces de faible densité, leur attractivité et leur accessibilité, au regard des nouvelles formes de pratiques de la Culture et de l’art contemporain. Espace isolé, en marge des principaux leviers de développement local, le VdF contribue à la construction de nouvelles aménités, qui sont autant de pratiques sociales et de tourisme/loisirs articulées entre les espaces naturels, les bourgs ruraux, les petites villes, les centres urbains régionaux, et les métropoles internationales. Un bel exemple de dialectique entre mobilité et proximité en somme…

« La molécule du territoire » ou l’ADN du cartographe

En passant par la Lorraine, oubliez les sabots, et armés de vos godillots, proximité de la Voie sacrée oblige, optez plutôt pour une expo…, et une expérience géographique totale…Sur le territoire forestier de six communes rurales, vous pouvez en effet découvrir la centaine d’œuvres d’art In Situ de l’Espace rural d’art contemporain du Vent des forêts, situé au cœur du département de la Meuse, à bonne distance des agglomérations. Et pour apprécier le parcours des œuvres, il est conseillé de se munir d’une bonne carte, et de tester vos talents d’orientation.

Carte de situation du Vent des Forêts par nous-même

Le parti-pris de cette carte est par ailleurs particulièrement intéressant. En représentant le plan cadastral, les courbes de niveau, et la toponymie des lieux-dits, la carte affirme ainsi la co-présence des œuvres avec le milieu naturel et forestier du territoire, au risque de rendre moins lisible l’information touristique liée au parcours des œuvres. Cet ancrage dans la topographie, le patrimoine et les usages du parcellaire de ce coin de la France dite « du vide », affirme certes la typologie d’un espace rural considéré comme isolé, mais elle a aussi l’immense avantage de montrer instantanément ce territoire comme un espace plein et habité, où l’objet touristique de la visite n’occulte pas les autres fonctions du territoire. La charte du promeneur qui accompagne la légende finit de contextualiser la présence des œuvres et de convaincre le promeneur/visiteur de consulter le calendrier des jours de chasse avant de s’aventurer sur les sentiers du Vent des forêts – symbole d’une cohabitation bienheureuse.

Ainsi, au mois d’octobre 2011, après un bœuf-carotte à tomber par terre au café-restaurant de madame Fernande Simon (Contact : Bistrot de Lahaymeix, T – 03 29 75 01 81), j’ai fait voguer mon fidèle destrier blanc sur les chemins de terre humide, mettant à l’épreuve mes amortisseurs et ma lecture de la carte afin d’alterner au mieux la randonnée et les liaisons motorisées… Et parmi toutes les œuvres visitées, observées, contemplées et surtout recherchées…, le travail d’Evariste Richer exposé au n°163 Bois de Bannoncourt (voir la reproduction du détail de la carte), à proximité d’un « Gros Caillou » cousin de celui des « croix-roussiens » -, avait éveillé ma curiosité dès la lecture de son nom.

source carte VDF 2012

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Le vent souffle, en Ar(t)izona…

À défaut d’aller zoner dans un état d’Amérique avec Harry, une carte « décoiffante » permet de visualiser en direct les courants éoliens au-dessus des États-Unis en saisissant les « entrelacs délicats des vents ».

Si la cartographie des phénomènes météorologiques est très largement standardisée dans les médias classiques, et constitue (il faut bien le reconnaitre) l’un des contacts les plus universel avec l’outil cartographique, l’exercice prend ici une dimension esthétique salutaire, qui permet de s’affranchir de nos codes sémiologiques classiques, pour amener à « ressentir » l’intensité et la direction des vents grâce à un figuré en forme de comète, tel des lignes blanches mouvantes.

Ce travail est l’œuvre de la collaboration entre Fernanda Viégas et Martin Wattenberg (voir leur site collaboratif), deux spécialistes dans les techniques de visualisation de données. Issus de la recherche académique (l’une est titulaire d’un Ph.D de design et de conception graphique, l’autre d’un Ph.D de mathématique), ils ont uni leurs compétences dans un groupe de recherche à Cambridge dans l’idée d’explorer « les possibilités de visualisation comme un outil pour poser des questions scientifiques, sociales et artistiques ».

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La carte musicale du Métal

Capture d’écran du site Map Of Metal – novembre 2012

La cartographie recouvre toutes les représentations graphiques de l’espace, et cet espace est parfois un espace imaginé, inventé, artistique. Elle est particulièrement pertinente pour les organisations complexes, en réseau, organisé autour de centres principaux et secondaires, lesquels peuvent être regroupés au sein d’ensembles parfois qualifiés de « territoires » : il y aurait ici des « territoires » musicaux. L’exemple ci-dessus concerne la musique métal, dont la carte est disponible sur ce site :

http://www.mapofmetal.com

Merci à Benjamin Fauré pour l’envoi de ce lien.

La Kinopithèque, du cinéma et de la géographie

Blog invité
SPRAWL
VAMPIRIQUE ET BANLIEUE PAVILLONNAIRE A LAS VEGAS


David Hockney, A lawn being sprinkled, 1967, Collection privée, Los Angeles.

La peinture A lawn being sprinkled de David Hockney inspire un contrôle parfait de l’espace. La pelouse, la villa, la palissade sont des rectangles de différentes tailles distribués comme sur une œuvre de Mondrian. Ni cascade, ni flaque, l’eau expulsée du système d’arrosage automatique est un élément maîtrisé. Hockney peint ces jets d’eau sous la forme de huit triangles isocèles, pointe en bas, qui régulièrement répartis sur un plan-pelouse créent la profondeur. Malgré le ciel bleu et l’arrosage, le tableau peine à donner une impression d’humidité ou de fraîcheur. Les seuls éléments « naturels » sont deux plantes et deux arbres [3] aux formes complémentaires qui ont été placées au fond de la composition. Ainsi proportionnés et répartis, ces pauvres végétaux paraissent fragiles au milieu de la structure géométrique qui s’impose, les accule (contre la maison) ou les coupe (derrière la palissade). Pas d’horizon, rien d’immense, l’espace circonscrit est à taille humaine comme une maison avec jardin. L’impression de contrôle de l’espace est accentué par le cadre de la toile, un carré qui enferme l’ensemble, ciel y compris. Les couleurs utilisées sont attendues : vert-pelouse, bleu-ciel, gris-béton. Tout est familier. Rien qui n’échappe à celui qui observe le paysage, ni qui puisse le perturber. Pas une mauvaise herbe, pas un nuage, pas un intrus. Tout est donc sous contrôle, rassure et place le spectateur en sécurité. Cette sécurité n’implique cependant pas pour autant le confort. Le lieu (peut-être la cellule privative d’une gated community), aussi propre et sécurisé soit-il, ne donne pas nécessairement envie de s’y installer.

(… Lire la suite sur : http://www.kinopitheque.net)

Strange maps

http://bigthink.com/blogs/strange-maps

Je rappelle l’existence de cet incroyable blog, dont est extraite cette non moins étonnante photographie montrant un tatouage en forme de coupe géologique … Strange maps montre un monde mis en cartes de façon décalée, avec des commentaires (en anglais)  d’une grande érudition. Seul regret, la résolution des cartes est souvent frustrante, pour qui aime explorer les détails.

(cliquez sur la photo pour accéder à l’article)

Honfleur par Flaubert : une géographie du sensible

« Un lundi, 14 juillet 1819 (elle n’oublia pas la date), Victor annonça qu’il était engagé au long cours, et, dans la nuit du surlendemain, par le paquebot de Honfleur, irait rejoindre sa goélette qui devait démarrer du Havre prochainement. Il serait, peut-être, deux ans parti.

La perspective d’une telle absence désola Félicité ; et pour lui dire encore adieu, le mercredi soir, après le dîner de Madame, elle chaussa des galoches, et avala les quatre lieues qui séparent Pont-l’Evêque de Honfleur.

Quand elle fut devant le Calvaire, au lieu de prendre à gauche, elle prit à droite, se perdit dans des chantiers, revint sur ses pas ; des gens qu’elle accosta l’engagèrent à se hâter. Elle fit le tour du bassin rempli de navires, se heurtait contre des amarres. Puis le terrain s’abaissa, des lumières s’entrecroisèrent, et elle se crut folle, en apercevant des chevaux dans le ciel.

Au bord du quai, d’autres hennissaient, effrayés par la mer. Un palan qui les enlevait les descendait dans un bateau, où des voyageurs se bousculaient entre les barriques de cidre, les paniers de fromage, les sacs de grain ; on entendait chanter des poules, le capitaine jurait ; et un mousse restait accoudé sur le bossoir, indifférent à tout cela. Félicité, qui ne l’avait pas reconnu, criait « Victor ! » ; il leva la tête ; elle s’élançait, quand on retira l’échelle tout à coup.

Le paquebot, que des femmes halaient en chantant, sortit du port. Sa membrure craquait, les vagues pesantes fouettaient sa proue. La voile avait tourné. On ne vit plus personne ; – et, sur la mer argentée par la lune, il faisait une tache noire qui s’enfonça, disparut. »

Gustave Flaubert, Un cœur simple, 1877.

On aimerait parfois que la géographie soit écrite comme un conte de Flaubert. L’un des objectifs de la géographie est de décrire, d’expliquer, de comprendre l’espace des Hommes. Cet objectif fait référence au sensible, car il faut bien accéder à l’espace par les sens pour le décrire et l’expliquer. Bien souvent, on se limite dans cette description aux éléments visuels, horizontalement (photographie ou croquis de paysage) et surtout verticalement (plan, carte, photographie aérienne…). La littérature est là pour nous rappeler qu’un espace n’est pas seulement visible en deux ou trois dimensions, il est également audible, tactile, odorant … Dans l’extrait précédent, Flaubert décrit une expérience spatiale sensible (un trajet de quatre lieues aboutissant à la ville de Honfleur dans le Calvados). Cette expérience est évidemment visuelle (« des lumières s’entrecroisèrent », « sur la mer argentée »), mais aussi auditive (« hennissaient », « on entendait chanter des poules », « jurait », « criait », « en chantant »), tactile (« se heurtait », « se bousculaient ») et même odorante avec les « barriques de cidre » et les « paniers de fromages ».

Il s’agit bien d’un espace vécu, formidablement illustré. Armand Frémont, l’inventeur de cette notion, s’est d’ailleurs appuyé sur la littérature pour l’illustrer. (carte ci-dessus)(1). L’espace est d’autant plus vécu qu’il est parcouru par l’héroïne. On peut retracer son parcours ; le « calvaire » évoqué par Flaubert correspond peut-être à celui signalé par la carte IGN au lieu dit « La Croix Rouge ». De plus, l’extrait souligne le rapport de dépendance entre le vieux port de Honfleur et le port du Havre, construit au XVIe siècle par François Ier sur un site plus favorable au grand commerce. Les marchandises entassées sur le quai attendent de traverser l’embouchure de la Seine, qu’aucun pont ne traverse avant Rouen, et ne quitteront la France qu’à partir du Havre. Ce rapport de domination s’est renforcé depuis. Le port du Havre est le 5e port pour le trafic conteneurs du Northern Range avec 7,2% du trafic (2). L’importance économique du port de Honfleur est aujourd’hui négligeable en terme de trafic de marchandises (3). C’est un autre secteur de l’économie qui y est valorisé, celui du tourisme. Félicité, l’héroïne de Flaubert y découvrirait aujourd’hui des sensations différentes.

Le bassin est plus calme : les petits bateaux de plaisance ont remplacé les paquebots(4) à destination du Havre, on n’y embarque plus de chevaux. Les quais sont toujours bruyants cependant : on entend les conversations des touristes attablés, et en arrière-plan, la circulation automobile et un joueur de cornemuse écossaise. L’odeur de la mer est dominée par les odeurs de cuisson des nombreux restaurants avoisinants. Le toucher est peut-être moins sollicité que dans la bousculade de l’embarquement décrit par Flaubert, mais il est remplacé par le goût des plats et boissons consommés par les touristes. Le mouvement et l’activité se sont déplacés d’une interface (entre le quai et le bassin) à une autre (entre le quai et le rez-de-chaussée des maisons). On peut tenter de cartographier les sensations non visibles sur la photographie ci-contre, c’est l’objet du schéma proposé. Précisons qu’il n’est pas certain qu’il s’agisse du même bassin que celui décrit par Flaubert. Le bassin photographié ci-dessus était sans doute dévolu aux bateaux de pêche.


Si Félicité revenait à Honfleur aujourd’hui, et qu’elle restait sur la D62 qui longe le revers du talus, elle aboutirait à Notre-Dame-de-la-Grâce, qui offre un large panorama sur l’embouchure de la Seine. Munie de son appareil-photo numérique, Félicité pourrait immortaliser cette vue, de la pointe du Havre jusqu’au pont de Normandie (que Victor pourrait aujourd’hui emprunter, en dépit de son tarif prohibitif, pour se rendre au Havre). On peut se plaire à imaginer la description que Flaubert pourrait offrir des raffineries et du pont à haubans. (Loin de moi l’idée de suggérer un sujet de rédaction pour collégiens !). A défaut, on devra se contenter d’un croquis interprétatif (ci-dessus).