Carte des espaces densément peuplés dans le monde

Outils cartographiques destinés aux enseignants et à leurs élèves, pour identifier les grands repères spatiaux à l’échelle du Monde.

Localisation des régions très densément peuplées, des foyers de population principaux et secondaires, et des dix mégapoles les plus peuplées du monde en 2010. Un diaporama à projeter en classe permet d’accompagner le travail des élèves.

(Cartes libres de droits pour un usage en classe uniquement. Pour obtenir ces cartes sous un autre format, me contacter.)

Carte des grands domaines bioclimatiques dans le monde

Outils cartographiques destinés aux enseignants et à leurs élèves, pour les grands repères spatiaux à l’échelle du Monde.

Localisation des grands fleuves et des domaines bioclimatiques. L’accent étant placé sur les régions peu peuplées, on peut utiliser ces cartes dans le chapitre consacré aux faibles densités. Un diaporama à projeter en classe permet d’accompagner le travail des élèves.

Cartes libres de droits pour un usage en classe uniquement. Pour obtenir cette carte sous un autre format, nous contacter.

Carte des régimes politiques dans le monde

COMMENTAIRE

Sources de la carte

Cette carte a été réalisée à partir d’une grande variété de sources dont les principales sont les suivantes. Aventure du Bout du monde est une association proposant un tourisme compatible avec le développement durable. Son site internet propose une liste des pays classés par ordre décroissant de respect de la démocratie et des droits de l’homme, à partir de plusieurs indicateurs. Revoltes.org publie une liste des pays appliquant encore la peine de mort et ceux qui l’ont abolie, notamment à partir des rapports d’Amnesty International. The Economist a proposé un indice de démocratie, en fonction duquel les pays sont classés ; ce classement est repris sur une page de l’encyclopédie en ligne Wikipedia.fr.

Explication de la typologie

Les démocraties fonctionnant normalement sont celles dans lesquelles tous les principes démocratiques sont respectés, où la peine de mort est abolie, et qui sont classées dans les 15 premières places du classement de The Economist.

Le second figuré (vert clair) concerne les pays pour lesquels il n’y aucun doute sur la nature du régime : il s’agit de démocraties. Cependant, ces pays doivent améliorer certains points pour correspondre parfaitement à la démocratie telle qu’elle a été définie par les philosophes et les théoriciens de la politique. Ces limites peuvent être la remise en cause des libertés individuelles et le maintien (ou retour) de la peine de mort (Etats-Unis), le manque d’alternance (Japon), la concentration des médias et leur collusion avec le pouvoir (Italie, France). De nombreux pays du Sud ont été classés dans cette catégorie alors que la démocratie peut y connaître des dysfonctionnements plus importants, avec un contexte violent pouvant parfois peser sur les élections (Inde, Colombie).

Les régimes démocratiques présentant de fortes irrégularités sont ceux dans lesquels le déroulement de la vie démocratique ne permet pas d’affirmer que les dirigeants sont réellement l’émanation de la souveraineté populaire. Le cas le plus fréquent est celui d’intimidation voire d’élimination des opposants au régime (Russie), ou de corruption généralisée entraînant un fort clientélisme. Dans des Etats comme le Vénézuela ou Madagascar, la dérive du pouvoir personnel est telle qu’on peut difficilement parler de démocratie. En Turquie et au Pakistan, la montée du fanatisme religieux n’est endiguée que par un très fort contrôle de l’armée sur le pouvoir (ce contrôle étant constitutionnel dans un pays laïc comme la Turquie)

Dans les Etats figurés en orange clair les élections ont lieu régulièrement, mais dans un contexte tel qu’il est impossible de parler d’un réel débat démocratique. Les électeurs subissent de fortes pressions, les bureaux de vote sont contrôlés par les armes dans certaines régions. Ce sont les « démocraties ratées » du Moyen-Orient (Irak, Afghanistan), dans lesquels les élections occasionnent une recrudescence de la violence. Le clientélisme et la corruption sont très forts également. On trouve dans cette catégorie des pays africains en proie à de violents troubles internes (Nigeria, Ethiopie …)

De nombreuses dictatures entretiennent un simulacre de démocratie. Des élections ont lieu mais le pouvoir contrôle leur déroulement au point que le résultat est sans surprise. Les libertés individuelles ne sont pas respectées et l’opinion politique d’un individu peut être une cause d’emprisonnement. Il s’agit d’Etats comme l’Algérie, l’Iran ou le Kazakhstan. Le président de la Biélorussie, Loukachenko, avoue franchement au quotidien russe Izvestia qu’il a lui même abaissé le résultat de son élection triomphante, trop élevé pour être crédible (Libération, 29/08/09).

Enfin, il reste encore dans le monde de nombreuses dictatures, où la répression est violente et les droits de l’homme continuellement bafoués. Régimes communistes (Chine, Corée du Nord), ou contrôlés par un ou plusieurs militaires (Birmanie/Myanmar, Libye), il en existe une version plus folklorique, les monarchies absolues. Certaines sont moins répressives que d’autres (Maroc, Thaïlande), la monarchie wahhabite (Arabie Saoudite) et les émirats du Golfe Persique appliquent la loi islamique avec intransigeance.

Les systèmes agricoles dans le monde

COMMENTAIRE

Une typologie des systèmes de production

    Cette carte a pour but de répondre à l’un des problèmes que peut poser le programme de seconde, celui de la typologie des systèmes de production. En effet, les systèmes de production ou systèmes agricoles peuvent être différenciés selon des critères fort nombreux : rôles des communautés agraires, rendements à l’hectare, la productivité, le niveau de vie des agriculteurs, la place de l’élevage, etc. (DIRY, 1999). Or les enseignants (et les élèves !) ont besoin, pour présenter de façon synthétique les différentes agricultures, d’une typologie simple. Le choix a donc été pris de proposer une légende à double entrée. Les deux critères choisis sont l’intensivité (rendements élevés à l’hectare) et la nature dite « paysanne » ou commerciale de l’agriculture. On considère qu’une agriculture paysanne est une agriculture pratiquée dans des sociétés où l’activité agricole a une forte place, exercée par une part importante, voire majoritaire de la population. Elle peut être vivrière, c’est-à-dire que la plus grande partie de la production est consommée sur place. Dans l’agriculture commerciale à l’inverse, l’essentiel de la production est destiné à être transporté et vendu. Elle est le plus souvent le fait de sociétés où la part des actifs agricoles est faible, et elle peut demander des investissements importants.

    La carte est évidemment caricaturale, parce qu’elle tente de répondre à un besoin pédagogique de simplification. Il est évident que plusieurs systèmes peuvent cohabiter sur un même espace.

Explication de la légende

agriculture paysanne agriculture commerciale
très intensive L’agriculture paysanne intensive concerne au premier chef les grands foyers de production asiatiques. Dans ces régions, la Révolution Verte a permis depuis les années 1960 de répondre aux besoins d’une population en forte croissance, notamment grâce à des techniques modernes d’irrigation. On a inclus dans ce type les hauts plateaux mexicains et malgaches, et les vallées irriguées du Moyen-Orient. Les rendements peuvent être très élevés. L’agriculture productiviste est née de la seconde révolution agricole dans les pays du Nord. La production est très motorisée, demande des investissements lourds, et les rendements à l’hectare sont très élevés. L’Europe du Nord-Ouest en offre l’exemple le plus abouti.
L’agriculture méditerranéenne est caractérisée par une grande diversité des productions (polyculture). Les rendements élevés sont souvent à l’usage de l’irrigation et à une main d’oeuvre nombreuse.
assez intensive L’agriculture paysanne traditionnelle regroupe des agriculture très diverses. On a fait le choix d’y inclure l’agriculture collectiviste en reconversion. Certes l’intensivité, les moyens matériels et les conditions du milieu sont très variables des savanes africaines à l’Europe orientale, mais d’une manière générale c’est une agriculture qui connaît des difficultés structurelles. L’agriculture de plantation est difficile à cartographier car il s’agit plus d’un archipel de cultures que d’un système couvrant de vastes espaces. Elle correspond à une forme coloniale d’exploitation agricole. Il s’agit de culture pérennes (arbres ou arbustes) et tropicales ou subtropicales.
Elles engendrent souvent des sociétés très inégalitaires, et ont été marquées aux Amériques par l’esclavage.
extensive L’élevage nomade correspond à une utilisation très extensive d’un espace soumis à de fortes contraintes, notamment l’ariditié. Ces contraintes limitent l’agriculture à des oasis isolés. On retrouve ce système dans une large bande allant du Sahara aux steppes d’Asie. La céréaliculture commerciale extensive est un système typique des « pays neufs » (Etats-Unis, Australie, Canada …). Elle est extensive parce les rendements à l’hectare sont plus faibles qu’en système productiviste, mais en raison des très vastes surfaces cultivées, elle dégage des excédents importants permettant l’exportation.
très extensive Quelques groupes de chasseurs-cueilleurs subsistent dans le désert australien et les forêts équatoriales d’Amérique, d’Afrique et d’Océanie. On trouve également dans ces forêts une forme d’agriculture nomade, l’agriculture itinérante sur brûlis. On trouve enfin des éleveurs nomades de grands cervidés dans les régions froides du Grand nord canadien et russe L’élevage commercial extensif s’étend dans les régions des « pays neufs » qui ne se prêtent pas aux cultures en raison de contraintes trop fortes (aridité notamment). Les cheptels vivent en semi-libertés dans de très vastes espaces, et surveillés par une main d’oeuvre très peu nombreuse (dont l’archétype est évidemment le « cow boy » américain, nommé gaucho en Argentine)

Géomorphologie alpine…

On apprend souvent la géographie dans les livres : comment faire autrement ? Dans les livres, et sur les cartes. Tous ceux qui ont fait des études de géographie se rappellent qu’ils ont dû, à un moment ou un autre, se pencher longuement sur une carte au 1/25000e pour y débusquer des formes de relief caractéristiques. Dun-sur-Meuse, montre-moi ta cuesta ! Pays de Bray, dévoile ta boutonnière … Pour apprendre à les reconnaître, on utilisait des schémas minutieux représentant ces reliefs dans une version idéale, simplifiée : des blocs-diagrammes. On trouve ce genre de dessin dans le célèbre manuel de Max Derruau(1) ou dans les premières pages de l’Atlas 2000 (2). La géomorphologie, analyse des formes de reliefs semblait inutile à beaucoup d’étudiants. « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile », comme E. Rostand le fait dire à Cyrano. Cependant, à force de reconnaître les reliefs sur  des schémas, des portions d’espace terrestre dûment découpées comme une part de mille-feuille, ou d’en déceler les indices sur des cartes, c’est-à-dire d’en haut, je me demandais alors si j’aurais su reconnaître cette bonne vieille cuesta si elle se présentait, devant moi, étalant ses formes souples dans un paysage viticole ou forestier.

photo_valle_glaciairePas de cuesta ici, mais un bel exemple de relief glaciaire, dans ce paysage découvert au cours d’une promenade. En partant de Briançon vers le Nord, on laisse la Durance à droite et on longe la vallée de la Clarée. A Névache, l’été, on doit laisser sa voiture et emprunter une navette. La vallée fait l’objet d’une opération grand-site (comme autour de la roche de Solutré, célèbre cuesta celle-ci(3)…) et il s’agit d’y limiter la circulation automobile. En partant à pied de Fontcouverte sur le GR57 on entame une ascension dans un paysage alpestre des plus bucoliques. C’est là, après trois heures de marche, qu’elle dévoile ses formes gracieuses.

croquis_photo_coulC’est une petite vallée glaciaire discrète, plutôt modeste. En raison de ses dimensions réduites, elle fait tout de suite penser à ces blocs diagrammes évoqués plus haut. Tout est là : les moraines latérales et le bourrelet frontal, le fond plat marécageux où serpente un torrent sous-glaciaire au cours anastomosé, les versants rabotés en forme d’auge, et la petite vallée suspendue débouchant à gauche. J’ai eu envie de pousser le jeu jusqu’au bout, et en partant de cette photographie, d’en réaliser un schéma explicatif, comme ceux de ces bons vieux manuels de géographie physique qui sentaient un peu la poussière.

croquis_carte_coulEt pour ceux qui ne jurent que par la vision verticale, celle des photographies aériennes et des cartes , j’ai reporté (ci-contre) les éléments ci dessus sur la carte IGN 3535OT (Névache-Mont Thabor).

Ces deux croquis sont également disponibles en noir et blanc, au cas où il  vous viendrait l’idée particulièrement saugrenue de les reproduire.

croquis_photo_nb   croquis_carte_nb

Je dédie cette chronique à mes amis historiens auxquels le mot « géomorphologie » évoque une pathologie grave mais non contagieuse dont souffrent certains géographes, une dangereuse monomanie dont l’attrait pour les cuestas est le principal symptôme.

Rédaction : JB Bouron ; Relecture : Jocelyn Massot

Sources
Photographie : Lucie Diondet
Carte IGN : Top 25 – 3535OT (Névache-Mont Thabor)

Notes

(1) DERRUAU M., Les formes du relief terrestre. Notions de géomorphologie. Réédité mainte fois chez Armand Colin.
(2) à l’époque ou cet excellent atlas des éditions Nathan ne s’appelait pas encore Atlas du XXIe siècle. La disparition de cette page dans les récentes éditions témoigne à elle seule de l’érosion que subit la géographie dite physique dans l’enseignement.
(3) Le Grand Site de Solutré-Pouilly-Vergisson et les Opérations Grand Site en général feront sans doute l’objet d’une chronique ultérieure

La ségrégation spatiale, en France aussi.

marneslacoquette_2a2b

La géographie s’est beaucoup intéressée à la pauvreté. L’étude des inégalités sociales est même une branche à part entière appelée géographie sociale ou radicale, dont Pierre George, David Harvey, ou Michel Philipponneau sont d’éminents représentants. Toutefois, les géographes peuvent également, à l’instar du couple de sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, se préoccuper du sort des riches.

 

Nous nous sommes intéressés, dans notre note précédente, aux banlieues riches de Los Angeles, mais le territoire français possède aussi des « Canoga Park » (ou des « Whisteria Lane » pour les téléphages). L’un d’eux se situe à la sortie de l’autoroute A13 reliant Paris à Rouen (ou si vous préférez, Auteuil à Deauville), dans le département des Hauts-de-Seine. Selon Wikipedia.fr, jamais avare d’informations factuelles, cette coquette commune est la moins peuplée et la moins dense du département (1743 habitants, 490 hab./km² (1)). Selon le ministère des finances, la commune bat un autre record, celui du revenu par habitant (81 746 € par an (2)). Comme souvent, il ne s’agit qu’une terne moyenne, qui masque probablement des écarts considérables puisque certains habitants de la commune comptent parmi les plus riches de France. Pour mieux connaître les préoccupations de ces habitants, on peut consulter la page « Sécurité » du site officiel de la municipalité (3), qui offre de précieux conseils pour les vacances :

 

« Que faire en cas d’absence durable ?

– Avisez vos voisins ou le gardien de la résidence.

– Signalez votre absence au commissariat de police: dans le cadre des opérations  » Tranquillité vacances « , une tournée de surveillance sera alors mise en place.

[…]

– Votre domicile doit paraître habité : demandez que l’on ouvre régulièrement vos volets.

[…]

– Placez vos bijoux et valeurs en lieux sûrs (les piles de linge sont les cachettes les plus connues). »

 

marneslacoquette_domainemarcheLa photo 1 (ci-contre, cliquez dessus pour agrandir) permet de découvrir le nom de cette fameuse commune  – mais peut-être l’aviez-vous deviné ? Les panneaux routiers (Suresnes, Garches) indiquent que nous sommes bien dans l’Ouest de la région parisienne. Au premier coup d’œil, la maison semble indiquer une banlieue pavillonnaire banale, aisée sans doute mais pas nécessairement huppée. Le nom du quartier « Domaine de la Marche », assurément pompeux, peut aussi bien être un leurre comme tant de dénominations locales cachant seulement un désir de reconnaissance (« Résidence les Lilas », « Villa Bellevue »). Cela dit, deux indications nous montrent qu’il s’agit d’une petite gated community, d’un quartier résidentiel fermé. D’une part, la barrière, ici levée (modeste comparée aux grilles d’entrées de certains quartiers), et d’autre part le panneau à droite « Domaine privé – voie sans issue » qui indique qu’il s’agit d’une voie privée et que le quartier n’a qu’une entrée. La photographie aérienne 2a (tout en haut) permet de corroborer ces suppositions. On repère l’angle de vue en rouge sur la photographie aérienne.

 

marneslacoquette_portailLes plus riches résidents de la commune (Johnny Hallyday, Hugues Auffray, Jacques Séguéla, l’émir du Qatar… cf article du Canard Enchaîné ci-après) préfèrent se replier derrière un parc arboré entouré d’un haut mur dont le portail est solidement surveillé comme sur la deuxième photographie (ci-contre). Géoportail permet là encore de s’introduire impudiquement dans l’intimité douillette de cette modeste masure.  On la retrouve sur la photographie aérienne 2b (tout en haut) qui dévoile une habitation de taille enviable entourée d’un parc non moins vaste. Les amateurs de croustillant se plairont à imaginer que c’est ici que réside l’une des personnalités citées plus haut.

 article_canardenchaine

L’article du Canard Enchaîné (4) qui nous a donné l’idée de cette note offre un excellent exemple des difficultés rencontrées par les autorités pour mettre en œuvre une vraie politique de mixité sociale. La loi dite Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU), promulguée en 2000 par le gouvernement de Lionel Jospin, impose un quota de 20% de logement social dans chaque commune, dans le but de favoriser la mixité sociale intra-communale. On sait les limites de cette loi qui permettait aux communes en infraction de payer une lourde amende, ce que se sont empressées de faire les plus riches d’entre elles comme Neuilly-sur-Seine, dirigée alors par qui-vous-savez.

 

marneslacoquette_canardenchaine

D’après l’article du Canard Enchaîné (ci-dessus) Marnes-la-Coquette a trouvé une idée plus originale : construire les logements sociaux dans un petit espace disponible, compris entre l’autoroute et une voie ferrée.  En élargissant le cadre (photo aérienne ci-contre) on remarque à l’Ouest de cet espace entouré en rouge le musée des Applications de la Recherche de l’Institut Pasteur (5). L’article révèle un exemple intéressant des enjeux de la ségrégation socio-spatiale dans  la gestion communale, qui donne à penser sur les limites de l’unité républicaine, lorsqu’elle devrait s’appliquer notamment aux plus riches.

 

 

Rédaction : Jean-Benoît Bouron, photographies : Lucie Diondet

 

Notes et Sources :

(1) source : INSEE 2006

(2) source : www.Bakchich.info, 30 janvier 2008

(3) source : http://www.marnes-la-coquette.fr/marnes_la_coquette/menu_haut/vivre_a_marnes/securite

(4) source : Le Canard Enchaîné, mercredi 19 août 2009, p.5

(5) merci à Jocelyn Massot pour avoir identifié ce bâtiment et m’avoir fait parvenir ses conclusions.

Les photographies aériennes sont tirées du site de l’IGN, Geoportail.fr

Los Angeles : laboratoire de la périurbanisation

1. Les Nimbies d’après Mike Davis

« Certains diront que ça ne pouvait arriver que dans la San Fernando Valley. La conseillère municipale Joy Picus était harcelée nuit et jour par un groupe de résidents dénommés « West Hills Open Zone Victims ». Pétitions, coups de téléphone, prises à partie dans des réunions, embuscades à la sortie de son bureau, ils ne reculaient devant rien pour se faire entendre. […] A leur ton fiévreux, un observateur extérieur aurait pu croire que ces gens demandaient réparation en tant que victimes d’une tragédie majeure : catastrophe aérienne ou explosion de gaz à proximité d’une école, décharge de déchets toxiques […].

« En fait personne n’était mort, les écoles étaient intactes, la pollution n’y était pas plus grave que dans le reste de la vallée, asphyxiée par le smog, et aucune rencontre du troisième type n’avait été signalée. La seule raison du courroux de ces « victimes » était l’insensibilité de Joy Picus à leur désir de ne plus faire partie de Canoga Park. Pour comprendre la teneur de cette colère, il importe de se rappeler quelques données fondamentales sur les banlieues résidentielles de Los Angeles :
1) Comme les Siciliens dans L’Honneur des Prizzi, les propriétaires de Los Angeles aiment leurs enfants mais ils aiment encore plus leur patrimoine immobilier
2) A Los Angeles, la notion de « communauté » (community) suppose l’homogénéité d’un quartier en termes de race, de classe et surtout de valeurs immobilières. Les noms des quartiers – c’est-à-dire les panneaux qui permettent d’identifier des secteurs comme « Canoga Park », « Holmby Hills » ou « Silverlake » –  n’ont aucun statut légal. Ils ne sont rien de plus que des faveurs accordées par les conseillers municipaux à des habitants ou à des commerçants qui ont su s’organiser pour faire reconnaître leur quartier.
3) Le « mouvement social » le plus puissant aujourd’hui en Californie du Sud est celui des propriétaires aisés regroupés sous la bannière de leur quartier pour en défendre l’exclusivité et préserver la valeur de leur patrimoine immobilier. C’est ainsi que plus de trois mille propriétaires de résidences situées sur les collines du secteur ouest de Canoga Park lancèrent en 1987 une pétition pour faire rebaptiser leur secteur « West Hills ». Pour les membres de l’Association des propriétaires de West Hills, il était inconcevable de devoir contempler depuis les patios de leurs villas à 400 000 dollars les minables habitations à 200 000 dollars qui s’étendaient à leurs pieds à l’est de la Platt Avenue. »

2. La ségrégation socio-spatiale en action

Cet extrait assez long est une illustration éclairante de notions de sociologie urbaine parfois difficiles à concrétiser en géographie. Los Angeles est un laboratoire urbain à l’échelle 1:1, un archétype de la ville tentaculaire, non verticale comme l’avait imaginé Fritz Lang mais horizontale. En cela, elle est aussi une anti-ville : horizontale, polycentrique, centrifuge … Les interminables banlieues de la mégapole sont un terrain de jeu idéal pour le sociologue acerbe et cynique qu’est Mike Davis. Ce texte illustre les enjeux de la périurbanisation en présentant les nimbies comme un mouvement puissant et déterminé, bien que ce type d’organisation soit par essence ultra-locale. Le terme de nimby est un acronyme de Not In My Backyard (N.I.M.B.), littéralement « pas dans mon jardin ». Il désigne les mouvements de propriétaires opposés à tout aménagement susceptible de faire baisser la valeur foncière de leur propriété.  En effet, tout aménagement supposé bénéfique à petite échelle (nationale ou régionale) tel qu’une autoroute ou un aéroport déclenche à grande échelle (locale) un mouvement de protestation nimby. En France, ces mouvements sont souvent liés à des projets d’infrastructures. Or les Nimbies décrits ici par Davis sont d’une autre espèce : ils militent pour empêcher que soient regroupés dans un même quartier des familles de classes sociales ou de couleur de peau différentes. L’enjeu ici est la création pour les résidents des « villas à 400000 dollars » d’un nouveau quartier, West Hills, distingué dans l’espace de Canoga Park où s’installent des « communautés » différentes dans des « villas à 200000 dollars » (seulement !). L’extrait pose la question de la ségrégation socio-spatiale à Los Angeles. La périurbanisation a accentué ce phénomène de séparation des classes sociales dans l’espace. En réalité la mixité sociale n’a jamais été la règle et tout espace urbain (et même rural) est organisé en fonction d’une hiérarchie sociale, qu’elle soit fondée sur les revenus ou sur d’autres critères (les castes dans les villages indiens). Ici cependant elle est remarquablement visible : les banlieues de Los Angeles sont un beau spécimen, un bel archétype de ségrégation socio-spatiale. L’un des problèmes de la ville est d’ailleurs la « municipalisation », mouvement qui voit les quartiers riches se séparer de la municipalité de Los Angeles pour ne pas avoir à payer les externalités négatives de la pauvreté. Ce mouvement centrifuge, exact opposé de l’intercommunalité à la française, accentue les inégalités de revenu entre les municipalités, à l’intérieur de l’agglomération de Los Angeles.

3. L’image de la périurbanisation

G_villes_Los_Angeles_westhillsSur la photographie aérienne verticale ci-contre, tirée de Google Earth, on s’est amusé à retrouver le quartier de Canoga Park cité par Mike Davis (Cliquez pour agrandir l’image). Une décennie plus tard, le Canoga Park est référencé dans Google Earth en tant que commune, de même que West Hills, qui a donc obtenu le divorce. L’image montre un bel exemple de discontinuité spatiale à West Hills, et il est particulièrement aisé de la découper en trois parties. On peut diviser l’image par une ligne verticale séparant un rectangle de désert et un rectangle urbanisé. Le rectangle urbanisé se divise à son tour en deux parties. Au nord s’étalent des villas de taille modeste. La quasi-totalité d’entre elles est dotée d’une piscine. Elles donnent directement sur des rues serpentant le long des courbes de niveau. Les jardins laissent entrevoir l’aménagement de terrasses : ce secteur de collines présente de fortes pentes. En bas du rectangle urbanisé, les villas et les jardins sont plus spacieux. La voirie est moins dense et on remarque l’absence totale de contact entre le quartier très riche et le quartier riche : la séparation est nette et les rues ne se rejoignent pas. A l’Ouest de la photographie s’étend le désert. Le climat est aride et la végétation est rare, ce qui nous donne un indice sur la consommation d’eau des villas et des jardins voisins. Entre le désert et la ville, une limite de comté, qui rappelle combien, à cette échelle, les limites administratives peuvent influencer l’organisation de l’espace. Cette photographie peut faire réfléchir à la fois sur le déterminisme (on voit, dans ces montagnes arides, que les limites de l’occupation humaine sont celles que les Hommes s’imposent eux-mêmes, et non les contraintes naturelles), et sur les enjeux de la périurbanisation, en terme de projet sociétal et de coût environnemental.

Jean-Benoît Bouron

Sources
Texte : Mike Davis, City of Quartz. Los Angeles, capitale du futur, éd. de La Découverte, 2000.
Image : Google Earth, 2007,2009