Gentrification ou embourgeoisement ? Episode 2: de la banlieue rouge au Grand Paris, la gentrification lente de Bagnolet (par Claire Sananes).

Extrait de la carte IGN originellement au 1/22 000e de Bagnolet à l’Est de Paris. Source : Géoportail

L’étude des transformations de la ville de Bagnolet illustre deux aspects du processus de gentrification, à savoir le retour du capital dans le centre, et l’éviction des populations les plus précaires. La ville de Bagnolet est située dans la première couronne parisienne à l’Est, appelée « la banlieue rouge » en raison de son passé ouvrier qui fit longtemps des communes de la petite couronne un bastion du Parti communiste. Dans le cadre du mégaprojet urbain du Grand Paris, la commune a bénéficié de larges fonds d’investissements, notamment grâce à son insertion dans l’EPCI Est Ensemble.

Dès lors, les projets d’aménagement se sont multipliés. Le vieux rêve d’un Bagnolet « quartier d’affaires » a resurgi. En effet, le projet d’un équilibrage au sein de la commune entre logements et bureaux avait vu le jour dès les années 1970. Il a rapidement été abandonné après le choc pétrolier de 1973, seules les Tours Mercuriales témoignent encore de ce désir passé. Toutefois, les promoteurs immobiliers ont investi récemment dans de grands chantiers à Bagnolet. C’est le cas de Novaxia qui transforme le paysage bagnoletais en tours de bureaux et de logements. Ce ré-agencement de l’espace est révélateur d’une rente de situation à exploiter.

En effet, Bagnolet, ville de tradition industrielle, a longtemps été perçu comme un lieu en déclin. Après la crise de 1973, la désindustrialisation des villes de la banlieue rouge a entraîné leur paupérisation. Au fil du temps, Bagnolet est entraîné dans un processus de métropolisation sous l’influence de Paris. L’urbanisation et la tertiarisation de l’économie ont fait disparaître les traces d’espaces agricole et industriel. C’est là que le grand échangeur de l’autoroute A3 fut construit. Il est traversé aujourd’hui par 300 000 voitures par jour. La localisation de Bagnolet, de l’autre côté du périphérique parisien, ainsi que l’accessibilité en métro depuis 1971 ont permis aux classes populaires d’accéder à des loyers modérés par rapport à ceux pratiqués dans la capitale.

Extrait de la carte IGN originellement au 1/25 000e de la commune de Bagnolet. Source: Géoportail

Désormais, avec le projet du Grand Paris, Bagnolet est au cœur d’enjeux économiques stratégiques d’échelle nationale. Cette commune de l’ancienne banlieue rouge affiche son ambition d’attirer de nouvelles populations, des ménages désirables, c’est-à-dire solvables. C’est d’ailleurs le but du numéro du mois d’octobre 2022 du magazine local, Bajomag’ qui déroule les nombreux lieux communs du marketing territorial. Intitulé “Attractivité : Les atouts de Bagnolet”, on y découvre Bagnolet sous un jour nouveau, celui de la « ville-village » où reigne le « vivre-ensemble », un lieu à la qualité de vie enviable, capable de séduire à la fois de nouveaux habitants à la recherche de calme et des investisseurs en quête de profit. La mixité sociale est présentée comme un rempart contre la paupérisation de la ville, devenant ainsi un objectif pour l’EPI Est-Ensemble. A travers ce discours promotionnel de la ville, c’est toute une politique publique assumée de gentrification qui se déploie.

 L’angle de vue permet de montrer la ville sous son meilleur jour. Le regard se pose d’abord sur le pavillonnaire enserré dans un écrin de verdure au premier plan puis sur l’immobilier d’affaires au second plan, pour ensuite se perdre dans l’horizon de la nappe de pollution au-dessus de Paris.Source: Couverture du magazine Bajomag’ – Octobre 2022.

Loin de favoriser le “vivre-ensembe”, la mixité sociale serait au contraire un processus majeur d’exclusion sociale. Bagnolet semble répondre aux mêmes processus de gentrification que ceux observés à Montreuil, qualifiée souvent de « 21ème arrondissement de Paris ». Des lieux alternatifs d’urbanisme transitoire comme le Sample voient le jour et attirent de nouvelles populations, au capital économique et culturel plus élevé que la population ancienne. En interrogeant les habitants de Bagnolet, ceux-ci voient bien que leur ville change mais de manière beaucoup plus lente par rapport à d’autres communes. Depuis les lancements des travaux liés au projet urbain du Grand Paris, le prix du foncier à Bagnolet s’est envolé, passant de 4 250 euros le prix du mètre carré en 2017 à 6 130 en 2022, soit 44 % d’augmentation alors qu’elle est de 23% à Montreuil et 16% au Lilas sur la même période. On assiste ainsi à une gentrification à retardement à Bagnolet par rapport aux communes voisines comme Montreuil ou Les Lilas.

Sur le fonctionnement du Sample : un exemple de lieu d’urbanisme transitoire – Street Art et serre au Sample. Source : Photographies Claire Sananes, janvier 2023.

Malgré le surendettement de la ville, Bagnolet n’échappe pas à la gentrification généralisée de l’ancienne banlieue rouge (voir de ce point de vue l’ouvrage d’Anne Clerval paru en 2013 Paris sans le peuple). Un phénomène représentatif de ce processus est l’expulsion des squats, notamment lors de la rénovation des Tours de la Noue à Bagnolet où certains habitants ont été déplacés sans avoir pu retourner dans leur appartement initial. 

Des nouveaux aménagements en construction et à venir à Bagnolet . Source : Photographies Claire Sananes, janvier 2023.  

Article et étude de cas réalisés par Claire Sananes.