Pascale Breton, 2015 (France)
Dans ce très beau film sur le temps et l’identité, on s’intéresse aussi à la représentation de l’espace. Il n’est pas besoin de savoir que Pascale Breton a suivi des études de géographie pour s’apercevoir de la vive attention accordée aux lieux ainsi qu’au parcours de ses personnages à travers eux.
Par exemple, d’une façon surprenante, les immeubles de la cité étudiante de Villejean et des alentours de Rennes sont parfois, selon le point de vue et le cadre adoptés, plongés en pleine végétation. L’impression presque fantastique qui s’en dégage, l’émergence des bâtiments d’une forêt géante et, dans ces plans-là, la lumière crépusculaire du ciel contribuent à l’étrangeté diffuse du film. Et puisque Suite armoricaine définit une identité régionale forte (autour de la langue, de la culture, de l’histoire contemporaine du territoire), ces lieux aux mystères inattendus (que vient conforter le rêve d’un Sphinx noble et monumental en pleine ville) ne manquent pas de raviver chez le spectateur le souvenir des bois enchantés du folklore breton. De même, l’étudiant (Klet Beyer) venu chercher Françoise pour enregistrer son rêve et ses souvenirs afin de nourrir un projet ethnographique curieux de magie et d’un vocabulaire vernaculaire oublié, paraît vouloir donner une suite aux contes et légendes celtiques.
Pour revenir à la géographie, la réalisatrice inverse aussi les notions de centre et de périphérie : Paris (où enseignait Françoise avant de changer de poste) devient la périphérie de Rennes et à son tour la métropole bretonne devient la périphérie d’un lieu plus important aux yeux de Françoise. Les personnages retrouvent donc la paix in extremis, loin des villes, dans un espace rural aux confins de la Bretagne, dans la ferme du grand-père perdue dans le Finistère.
Le fait que Françoise renoue à cet endroit avec le souvenir de l’aïeul nous permet de faire une comparaison avec un autre film superbement géographique, Pompoko de Takahata (1994). La comparaison pourrait paraître incongrue tant le dessin animé japonais appartient à une tout autre culture. Pourtant, dans son film, Takahata fait du lien avec les racines rurales (et plus généralement avec la nature) la condition sine qua non pour ne pas rompre les relations entre les générations (on voit une vieille mère disparue réapparaître sous les yeux de sa fille alors que la ville nouvelle de Tama se revégétalise grâce à la magie des tanukis). En ces lieux, souvenirs perdus redevenus limpides après la réappropriation d’un territoire rural oublié, Pascale Breton et Isao Takahata s’accordent parfaitement. Ailleurs, d’autres paysages de ville (la circulation dans le campus de Villejean, les vues aériennes de Rennes, notamment depuis le balcon d’un appartement au sommet de la tour des Horizons remuée par le vent) prouvent que la ville en général peut être filmée différemment et que cette matière urbaine, source de surprise, de fantastique et de romanesque (à Paris comme en province), demeure encore sous-exploitée.
Billet à lire dans sa version complète publié sur La Kinopithèque.